Une stagflation aggravée par l’inflation importée !

Alors que les chiffres traitant de l’inflation en Tunisie ne seront pas connus avant quelques semaines (voire plus) – en raison de la grève continue déclenchée au sein de l’INS (Institut national de la Statistique) – les données publiées cette semaine indiquent que l’inflation va en augmentant passant d’un record à un autre dans les différents pays occidentaux partenaires de la Tunisie.
Les prix à la consommation ont augmenté, dans la zone euro, à plus de 5,8 % au mois de février en rythme annuel (Eurostat). Aux États-Unis, cette augmentation atteint les 7,5% et va en augmentant.
L’inflation importée par des pays en développement, comme la Tunisie sera lourde de conséquences pour l’économie, s’ajoutant à une inflation locale déjà très galopante (6,6% en décembre). Le tout pour aggraver les crises et creuser déjà la stagflation en cours.
Cette incontournable importation de l’inflation se fera par plusieurs mécanismes. D’abord par les échanges commerciaux des biens et services, par le déplacement des hommes et des femmes (tourismes, milieux d’affaires, etc.), par les transferts des émigrés et par les changements dans les taux d’intérêt qui repartent à la hausse partout dans les pays occidentaux partenaires de la Tunisie.
L’inflation importée est aussi le produit direct des dévaluations monétaires, qui sont quasiment continues dans les pays à faible de taux de croissance, endettés et mal-gouvernés.
Le déclenchement de la guerre en Ukraine, les perturbations économiques liées au blocus économique qui étrangle la Russie et les incertitudes entourant ce contexte très volatile vont pousser l’indice des prix à la production, vers la hausse. Le choc va dans un premier temps se manifester par l’augmentation de l’indice des prix à la production. Ce dernier viendra ensuite impacter l’indice des prix à la consommation. Tout sera plus couteux, et les consommateurs trinquent en conséquence.

 Flambée des cours de l’énergie
L’emballement des prix de l’énergie (pétrole, gaz, électricité, etc.) explique en grande partie cette hausse générale des prix à la consommation. En Europe, les prix de l’énergie se sont envolés de 31,7 % sur un an en février. L’énergie constitue un intrant majeur dans les divers secteurs de l’économie.
Toujours en Europe, la hausse des prix de l’alimentation s’est accélérée le mois dernier, à 4,1 %. Tout comme celle des prix des biens industriels, à 3,5 %. La hausse des prix concerne aussi les services (2,5 % après 2,3 %).
Quasiment tous les pays occidentaux sont concernés par cette accélération. L’inflation grimpe à des sommets dans les États baltes notamment (13,9 % en Lituanie, 12,4 % en Estonie…).
L’inflation aux États-Unis monte de façon exponentielle, l’économie étant en surchauffe de croissance. Malgré les 7,5% en taux d’inflation, les taux directeurs de la FED sont quasiment nuls. La FED comprend l’importance des impacts de ces taux sur l’investissement. Et ce n’est pas le cas de nombreuses banques centrales dans des pays endettés comme la Tunisie.
L’Allemagne a annoncé un taux d’inflation de 5,1 % en février sur un an, après un bref ralentissement en janvier. L’Italie a publié de son côté un taux de 5,7 %, un record depuis 1995. L’Espagne avait fait état d’une inflation record depuis 33 ans, de 7,4 % sur un an. En France, elle a atteint 3,6 %, un plus haut depuis la mi-2008, juste avant la crise financière.
Le début du conflit en Ukraine alimente les craintes d’une nouvelle envolée des prix, dans l’énergie, mais aussi dans l’alimentation. Les cours de référence du pétrole brut se sont envolés à des niveaux jamais vus depuis une décennie, à plus de 110 dollars le baril, après la décision des pays exportateurs de l’OPEP +, menés par l’Arabie saoudite et la Russie, de ne pas augmenter leur production. Augmentation recors aussi pour le cours européen de référence du gaz naturel.

Les céréales au plus haut
Les cours des céréales, dont la Russie et l’Ukraine comptent parmi les plus grands exportateurs mondiaux, sont montés en flèche, tout comme les huiles alimentaires.
La tonne d’aluminium, dont la Russie est le troisième producteur mondial, a aussi atteint 3.580 dollars à Londres, un sommet historique. Le fer et produits dérivés ont aussi vu leurs prix s’envoler de manière inimaginable, il y a seulement quelques mois.
Les banques centrales occidentales ont mal apprécié la gravité de l’inflation actuelle. Annoncée l’an dernier comme temporaire, l’inflation dans ces pays pourrait rester aux alentours de 5 % en moyenne en 2022.
Aussi bien en Europe qu’aux États-Unis, les taux directeurs vont être poussés à la hausse. En même temps, toutes les politiques monétaires de la FED et la BCE ne veulent en aucun cas sacrifier la croissance, dans un contexte de sortie de la COVID-19. Un contexte aggravé par une guerre fratricide en Europe, avec toutes les d’incertitudes d’embrasement qui vont avec.

 Très mauvaises nouvelles
Toutes ces mauvaises nouvelles risquent de renforcer la Stagflation qui s’abat sur la Tunisie. Le pays, cumulant des difficultés budgétaires, politiques et sociales, risque d’en pâtir dangereusement.
L’inflation importée va empirer les chiffres de l’inflation globale en Tunisie. Le niveau de vie et le pouvoir d’achat s’éroder en conséquence, amenés à s’empirer dans le court terme. Les marchés commencent à manquer les produits de base. Les pénuries et les rationnements sont déjà perceptibles dans les souks et les grandes surfaces.
Le pays risque de ne pas pouvoir importer suffisamment de biens alimentaires de première nécessité. L’Ukraine et la Russie en guerre ne peuvent plus exporter facilement leurs céréales à la Tunisie.
La poussée vers la hausse de ces produits de première nécessité va gruger les réserves en devises et précariser davantage la capacité à importer et surtout à rembourser la dette.
L’augmentation de l’inflation va pousser la banque centrale de Tunisie à hausser ses taux directeurs. Et cela risque de ruiner davantage l’investissement. De quoi tirer vers la baisse, le taux de croissance et les chances de sortie de crise. Si la tendance de la politique monétaire menée en Tunisie se maintient, le pays frôlera d’ici peu un taux directeur à deux chiffres (10-12%). Un tel taux donne le coup de grâce à l’investissement national et érodera la compétitivité des entreprises tunisiennes.
Les budgets de l’État tunisien déjà très déficitaires vont assumer une large partie de la facture. La facture énergétique sera colossale, l’essence, le diesel et le gaz sont des produits subventionnés. Les aliments de première nécessité (pain, couscous, huiles, sucres, etc.) sont aussi fortement subventionnés. Aucune marge de manœuvre n’est disponible pour supporter de telles augmentations imprévues dans le baudet de 2022.
La Tunisie doit s’organiser rapidement pour contrer ces changements rapides. Le gouvernement doit adopter rapidement une politique proactive d’ajustement tarifaire (surtout pour les produits subventionnés), de façon à amortir le choc en cours et à venir, en lien à l’augmentation des cours mondiaux des matières premières et des produits alimentaires de première nécessité.
De telles politiques requièrent une démarche gouvernementale courageuse, d’abord sur le front de la communication publique : pour sensibiliser et informer les citoyens, de manière transparente, au sujet des tenants et aboutissants de l’envolée des cours et de l’inflation. Autrement, on ne peut qu’avancer plus rapidement vers une faillite annoncée de l’État! Une faillite aux conséquences dramatiques pour la Tunisie et la région.
La société civile et les syndicats de travailleurs doivent soutenir le gouvernement dans ses démarches d’ajustement tarifaire, pour ne pas trop pénaliser le pouvoir, et pour éviter de creuser davantage un déficit public abyssal.

*Universitaire au Canada

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