L’UGTT est montée au créneau ces derniers temps, non sur le front social mais en cherchant, cette fois-ci, à avoir la peau de Youssef Chahed, coupable de lui avoir tenu tête et de ne pas appliquer à la lettre ce qu’on demandait de lui. « Un capitaine de navire » qui, subitement, ne devient plus à ses goûts. Après avoir cherché à provoquer un remaniement ministériel, la Centrale syndicale s’en prend maintenant frontalement au Chef du gouvernement qui est en train de payer cash la carte qu’il a jouée en faisant de l’UGTT son principal soutien. Aujourd’hui, même si elle se défend d’être intéressée par la politique et ses rouages, elle fait pire, en jouant à fond la carte de changement de Youssef Chahed qui a osé publiquement refuser le diktat que cherche à lui imposer une UGTT qui semble déterminée plus que jamais à montrer sa toute-puissance, sa propension à influencer la vie politique et à éliminer les ministres récalcitrants, ou tout au moins, qui se démarquent de son emprise.
L’UGTT passe de l’économique et social, où elle a toujours son mot à dire en usant s’il le faut du bras de fer pour imposer ses choix et sa loi, au politique. Peut-on lui en vouloir d’amorcer ce virage et de jouer ce rôle quand toutes les autres forces politiques en présence s’accommodent bien de ce que fait l’UGTT et que tous les partis politiques n’osent pas lui adresser la moindre critique pour ses dérapages parfois incontrôlés qui l’ont transformée au fil du temps en une force hégémonique dont la bénédiction est incontournable pour engager quoi que ce soit dans le pays ?
Il faut reconnaître que la Centrale syndicale a su remplir le vide qu’elle a trouvé depuis la Révolution de 2011 et quand elle dérape ou que les syndicalistes commettent parfois l’irréparable, poussent les entreprises publiques à la banqueroute, prennent chaque année en otage les élèves pour des revendications injustifiables, très peu de voix s’élèvent pour pointer du doigt ses errements ou les choix hasardeux que ses dirigeants défendent à cor et à cri. Chez nous, avoir le statut de syndicaliste confère à son titulaire une immunité absolue et une liberté sans limites de faire ce que bon lui semble, même si les conséquences pourraient être catastrophiques pour la communauté nationale. Depuis 2011, avec l’affaiblissement extrême de l’Etat, la grande hétérogénéité des partis politiques et leur incapacité manifeste à susciter un véritable débat public, la non-neutralité des organisations de la société civile, l’UGTT devient le véritable pouvoir dans le pays et très peu de décisions ou de choix peuvent échapper à son contrôle ou à son influence.
Aujourd’hui, Noureddine Tabboubi, Secrétaire général de la Centrale syndicale, oriente le débat public, dirige une campagne et pousse au départ de Chahed, qu’il a pourtant défendu il n’y a pas longtemps contre son propre camp. Est-ce qu’il revient à la Centrale syndicale, même si elle est l’un des signataires de l’accord de Carthage, d’évaluer le fonctionnement du gouvernement, des ministres, d’exiger le départ de certains membres, de pousser à un remaniement et enfin au départ du Chef du gouvernement ?
Ce qui se passe est grave et constitue un précédent fâcheux. L’UGTT va très loin, rompt toutes les limites et foule aux pieds toutes les règles qui sont à la base du contrat social dans une démocratie, soit-elle naissante. Elle veut supplanter les institutions constitutionnelles du pays qui ont la charge du contrôle de l’Exécutif, et provoquer une crise gouvernementale que le pays n’a plus les moyens de supporter en cherchant à imposer sa loi envers et contre tous.
Le processus de transition démocratique et économique peut-il s’accommoder de ce jeu d’influence de plus en plus insupportable, de ce discours belliciste, de cette propension à user du bras de fer et à entretenir l’instabilité sociale et maintenant politique ?
Ce qui pousse au questionnement aujourd’hui plus que jamais, c’est cette interférence directe de la Centrale syndicale dans la vie politique nationale avec la même hargne utilisée quant au blocage de certaines réformes essentielles ou à la satisfaction de revendications salariales que l’économie du pays ne peut supporter.
Alors que sous d’autres cieux, ce sont les syndicats qui montent au créneau pour favoriser la reprise économique, en cherchant les voies du compromis, de l’apaisement et de la paix sociale. Chez nous, on demande le retour de l’Etat, producteur, employeur et commerçant, au moment où partout ailleurs, ce dernier assume le rôle d’arbitre et de régulateur et on fixe des lignes rouges à ne pas franchir en lieu et place de pousser vers la préservation des entreprises et on s’arroge le droit de réclamer, haut et fort, le départ du Chef du gouvernement et le changement de l’équipe dirigeante, comme si cela allait régler tous nos problèmes.