Une ville-musée

Par Alix Martin

Même en plein été, les nuits sont fraîches dans les montagnes de « l’Intérieur ». Même quand le soleil « rôtit » le sahel, l’altitude tempère ses ardeurs et se promener à plus de 800 mètres d’altitude est très agréable. Une randonnée dans le Jebel Dyr El Kef est un dépaysement attrayant en toute saison.

 

Dyr El Kef

De loin, c’est une lame mauve émergeant de la houle bleue des monts environnants. Puis c’est une falaise ocre, rayée de crevasses noires, dominant un immense cône verdi par les cultures ou blanchi par le tuf calcaire stérile.

Le Dyr El Kef est un synclinal, une vallée, perché, situé au sud-ouest du « Sillon tunisien » caractérisé par ses inversions de relief telles que le Jebel Goraa, proche de Thibar ou la Kalaat Esnan : la Table de Jugurtha, par des diapirs : dômes de sel, tels que le Jebel Lorbeus ou le Jebel Debadib près du Kef et enfin par ses reliefs, vestiges de récifs calcaires de l’ère secondaire, contenant des minerais métalliques tels que les Jebel Jérissa, Slata ou Bou Jabeur.

Le Dyr est un « mont », de 7,5 kilomètres de long sur 1,5 kilomètre de large en moyenne. Il couvre 5 km² environ et culmine à 1084 mètres. Il penche de 4° vers le sud-est mais il est instable : le flanc sud-est est effondré, des lentilles de glissement se remarquent sur le flanc est, alors que le fond sud-ouest, faillé, s’ouvre à partir du hameau de Sidi Mansour.

Il est formé, du sommet vers le bas, de calcaire dur  à nummulites datant de l’ère tertiaire reposant sur des couches molles de marnes argileuses qui sont la transition entre les ères secondaire et tertiaire.

De grands mouvements de l’écorce terrestre, durant la deuxième partie de l’ère tertiaire, ont généré les chaînes de montagnes des Atlas, et des Alpes ainsi que la mer méditerranéenne telle qu’elle est. De plus, une érosion importante, des failles et de grands effondrements ont, d’une part, soulevé le Dyr qui a émergé puis s’est élevé, d’autre part, détruit les sommets qui ont disparu.

La couche de calcaire supérieure, dure mais perméable, absorbe l’eau de pluie qui dissout la roche et forme des grottes dont celles s’ouvrant sur le flanc de la faille sud-ouest. Ces roches dures glissent sur les marnes molles et imperméables sous-jacentes au niveau desquelles l’eau, reçue par l’énorme impluvium qu’est le Dyr, ressort en sources pérennes, abondantes.

Si la surface sommitale du Dyr est rocheuse, en très grande partie, et inculte, les pentes argileuses sont propices à la croissance de forêts de pins d’Alep, principalement, et de maquis, ainsi que, plus bas, à des cultures céréalières et arbustives.

Le Kef

La cité s’est construite grâce à l’eau des sources, la pierre à bâtir du mont, le bois des forêts et les produits agricoles des pentes.

Oppidum puis capitale berbère, elle est conquise par les Romains et devient une ville opulente, dont des Rhéteurs : Arnobe, Tertullien, des saints chrétiens : Augustin, Fulgence font la renommée.

Islamisée, son site privilégié, en hauteur, sa citadelle byzantine et sa position au carrefour de grandes voies commerciales, l’obligent à se mêler à tous les conflits du Moyen-âge arabe et à toutes les révoltes de l’ouest du pays jusqu’à une date très récente.

Appelée El Kef, depuis le XVIe siècle, son nom sec et bref claque comme un commandement militaire. Il est en harmonie avec les murs ocres et crénelés de sa kasbah qui domine la ville comme un fauve tapi, aux aguets, protégeant sa tanière. Le Kef a toujours choisi la vie : depuis les grottes du Dyr, habités dès la préhistoire, la ville dévale la pente, en cascades blanches durant les périodes de paix et de prospérité. Mais, elle remonte se blottir au pied des remparts quand les conflits incendient les plaines.

De la préhistoire : le culte de la « femme ouverte, féconde, nourricière » pratiqué à la crevasse de la falaise appelée « Chgaga », aux pratiques magiques consacrées à « Lella Mna », au cœur de la ville, à Aïn El Kef, en passant par la « Prostitution sacrée » dédiée, paraît-il, à Ashtart déesse phénicienne et la consécration à Venus romaine, Le Kef a toujours été un pôle intellectuel et religieux illustré par les confréries musulmanes qui s’y sont installées et des penseurs célèbres. Elle est renommée aussi pour le goût prononcé des Kefois pour la musique, le théâtre et l’art en général. C’est le creuset où les apports et les influences des grandes civilisations méditerranéennes se sont fondus et ont donné un mode de vie original.

 

La promenade

Le souvenir des remparts disparus se perpétue parce que, de quelque côté qu’on arrive au Kef, on y entre par ce qui a été une porte fortifiée.

Pour grimper au Dyr, on emprunte la route menant à « Sidi Mansour » : le Victorieux, encore vénéré de nos jours.

On est immédiatement au cœur des découvertes. Sur la gauche, dans la falaise, s’ouvrent les grottes habitées à l’époque préhistorique puisque certaines sont ornées de peintures pariétales, hélas, en grande partie recouvertes par la suie d’innombrables foyers ultérieurs, alors que les parois des autres sont creusés de trous qui ont dû recevoir des perches soutenant une toiture légère.

En arrivant au mausolée abritant Sidi Mansour, n’oubliez pas d’avoir une pensée pour l’oratoire ruiné, dédié à « Lella Torkia » encore vénérée. Pourquoi serait-elle « turque » sinon parce que, durant un grand moment, les Turcs étaient les dirigeants, les « nobles » du pays, et qu’elle était « importante ».

Il semble que ces lieux aient toujours été chargés de « puissance » magique ou religieuse. C’est par ici, qu’une stèle funéraire consacrée à « Plancina, première parmi les femmes berbères, d’origine royale est inhumée ici » a été découverte : une héritière des rois numides !

Au pied du mausolée de Sidi Mansour, jaillit une source pérenne, abondante dont les vertus thérapeutiques sont renommées !

Ensuite, on descend, lentement, car la pente est raide et caillouteuse, vers le fond de la vallée, au pied des grottes. Certaines sont accessibles facilement, d’autres s’ouvrent plus haut, au sommet de parois humides et glissantes : il faudra des pitons et une bonne corde pour y monter.

Puis, de grotte en grotte, on remonte cette « vallée » vers le nord et on se retrouve sur le « plancher » du synclinal du Dyr. Selon le temps dont on dispose et de sa forme physique, on choisit un de ces itinéraires. Le plus facile est de revenir vers Sidi Mansour et Le Kef. Mais on peut aussi continuer vers la sortie nord-ouest du synclinal, aller admirer les monts de Nebeur et le lac de retenue du barrage sur l’Oued Melleg avant de rebrousser chemin.

On peut décider aussi de faire tout le tour du Dyr, en allant d’abord jusqu’au point culminant en suivant le flanc gauche du synclinal. On reviendra par le flanc droit, sud-est, dont les falaises dominent la route de Nebeur et la plaine de Zaafrane.

Chemin faisant, si la recherche et la récolte de quelques fossiles – ils sont nombreux et variés ! – et la découverte de petits dolmens obligent à baisser la tête, du haut de cette citadelle naturelle, le panorama est magnifique : la région se déploie sur 360° à plus de 100 kilomètres à la ronde, jusqu’à l’Algérie du Jebel Ouenza ou la Numidie de la Table de Jugurtha. Les fleurs du chemin, les orchidées au printemps « sourient » aux rapaces planant dans l’azur.

Après un énorme bol d’air pur, une bonne « rando » exigeant des souliers solides et une canne, la découverte de la gastronomie et des pâtisseries originales du Kef n’offre que des plaisirs sans aucun risque d’embonpoint.

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