Une zone engluée dans une nouvelle géopolitique

L’Association des études internationales (AEI) a organisé, jeudi et vendredi à Tunis, en partenariat avec Friedrich Ebert Stiftung, un colloque sur le thème «Le Maghreb, l’Union européenne et les mutations au sud du Sahara». Objectif : penser une stratégie globale de sécurité et favoriser l’échange d’expertises.

 

 

"Nous avons organisé ce colloque pour sensibiliser l’Europe au poids économique et géopolitique de l’Afrique. Nous voulons élargir ce champ de vision jusqu’à la partie subsaharienne et contribuer à élaborer une stratégie globale de sécurité», nous a affirmé,  en marge du colloque, Elisabeth Braune, représentante résidente de la Fondation Friedrich Ebert.

 

Stratégie globale

Les intervenants ont évoqué trois grands défis qui attendent le Maghreb, l’Europe et la partie subsaharienne. Il s’agit notamment des défis économiques et sociaux, des défis des politiques d’intégration et de migration et des défis stratégiques et sécuritaires.

«Ces territoires connaissent aujourd’hui une situation exceptionnelle. Nous devons développer une stratégie euro-méditerranéenne antiterroriste nous permettant de dépasser la crise», a souligné Hatem Ben Salem, ancien Secrétaire d’État aux Affaires étrangères, en référence à la crise de l’Ukraine et aux événements du Printemps arabe qui ont ébranlé le Maghreb.

L’équilibre des forces d’influence a été brisé. Deux composantes incontournables au Maghreb ont connu une série de crises, à savoir la Tunisie et la Libye. La diplomatie se cherche, les institutions des États se reconstruisent et la géopolitique se réinvente dans la région.

De nouveaux groupes faisant autrefois partie d’une spirale de silence ont alors émergé, mais sous des «formes destructrices». «Commerce illicite, trafic d’armes et de drogue, poussée extrémiste et émigration clandestine. La région est au cœur des menaces et de l’instabilité», a-t-il affirmé appelant à élaborer une stratégie globale qui repose sur des mécanismes de prévention.

Les intervenants ont évoqué les prémices d’une nouvelle période de crise, mettant en garde contre le terrorisme, figurant dans les parties sud de plusieurs pays du Maghreb. Certains médias ainsi que des réseaux sociaux favorisent, a-t-il averti, la prolifération de ces groupes armés, voire une radicalisation chez les jeunes.

 

De la division à la coopération

«Il faut fédérer et non disperser les efforts déployés par les organisations internationales», a-t-il insisté. Par exemple, l’OTAN, l’UA, l’UE et bien d’autres organisations et unions devraient se réunir autour d’une même table pour discuter des moyens de lutter contre le terrorisme.

Les deux derniers colloques internationaux organisés en 2012 et 2013 en partenariat entre l’Association des études internationales et la Fondation Friedrich Ebert, ont porté sur la nécessité de promouvoir les relations entre l’Europe et le Sahel. Or, entre les différents pays de cette partie du monde, les frontières deviennent de plus en plus perméables à toute sorte d’influences, à commencer par l’émigration clandestine, le trafic de marchandises et d’armes. Et ces activités ne manqueront sûrement pas d’avoir, directement ou indirectement, des conséquences négatives sur la situation globale de la région Europe-Maghreb-Sahel.

«Le Sahel constitue pour l’ensemble des pays maghrébins une profondeur stratégique essentielle. Aujourd’hui, l’Europe vise la continuité de l’espace maghrébin tout en pensant à une stratégie sécuritaire dans la région», nous a affirmé Mme Braune.

 

Social VS politique

Les pays sahéliens qui jouxtent le Maghreb sur son flanc sud pourraient jouer un rôle incontournable dans la stabilisation de la région. «Un diplomate n’aura pas grand-chose à dire devant un expert en sécurité. Mais je pense que la stabilité politique est indispensable pour la stabilité sécuritaire dans la région», a affirmé Zeini Moulaye, ancien ministre, conseiller du ministère des Affaires étrangères, de l’Intégration africaine et de la Coopération internationale au Mali. Avant d’ajouter «Le concept de la gouvernance partagée devrait être développé, dans ce sens. Il faut recourir à un dispatching des rôles et des responsabilités entre les différents acteurs de la région.»

Une coopération durable sur le développement d’une sécurité collective devrait être au cœur de la pensée sahélo-maghrébine, d’une part et entre l’Afrique et l’Europe d’autre part.

«Le terrorisme en Afrique est une menace globale. Si nous sommes intervenus au Mali, c’est pour assurer la sécurité du Mali et au-delà, la sécurité de l’ensemble de la sous-région, mais aussi notre propre sécurité. La sécurité du Mali, c’est la sécurité de l’Afrique de l’Ouest et de la France, c’est aussi la sécurité de « l’Europe », a souligné, dimanche à Daka le ministre français de la Défense, Jean-Yves Le Drian, cité par des sites d’information.

Le Maghreb, en particulier la Tunisie, a connu des changements politiques et économiques conduisant à penser de nouveaux «refuges sécuritaires». L’Europe n’y a pas échappé. Face à la crise politique de l’Ukraine et la crise économique de la Grèce, l’UE s’est retrouvée face à de nouveaux enjeux. Le grand jeu stratégique a réuni, aujourd’hui, les trois parties autour d’une seule alternative : la coopération.

Or, pour Naziha Turki, professeure libyenne de sciences politiques à l’Université de Benghazi, le défi à relever est social par excellence. «Il s’est avéré, après 2011, que la question à trancher n’est pas le développement économique, mais plutôt la promotion sociale et sociétale», a-t-elle souligné. Et de poursuivre, «Nous voyons que la notion d’État se dilue en Libye. L’accès au pays est devenu facile pour les terroristes, ce qui a conduit à la multiplication des actes de violence en Libye qui n’est pas isolée du Maghreb.»

La région du Maghreb, à elle seule, dispose de richesses naturelles très diverses, dont le gaz et le phosphate. «Dans le même temps, nous souffrons, à des degrés différents, des mêmes problèmes : la pauvreté, le chômage et les dettes extérieures. La sécurité de la Libye est une responsabilité partagée entre son gouvernement et le Maghreb», a indiqué Mme Turki.

 

Pyramide inversée

L’Afrique devient de plus en plus énigmatique. Après le triangle imaginaire des Bermudes, «la Pyramide inversée du danger» devient un réel théâtre de «disparitions sécuritaires.»

Cette «pyramide inversée du danger» relie la Libye, la Mauritanie et le Mali, selon l’appellation de Turki, qui ajoute que cette zone est caractérisée par l’insécurité, la diversité culturelle, une densité inférieure à celle des autres pays de la région, le trafic d’armes, le manque d’expertise et de compétences dans le domaine politique.

Les frontières sahéliennes qui constituent une ceinture de sécurité pour l’Afrique deviennent une scène en profonde reconfiguration géopolitique. Le Maghreb aussi, en particulier la Tunisie et la Libye, n’ont pas échappé à cette dynamique de quête de la stabilité.

«Les crispations, les tensions identitaires et les révoltes ont perturbé la région, notamment sur le plan économique. Je souhaite que la Tunisie se sorte intelligemment de cette situation», a espéré Jean-François Coustillière, contre-amiral  en France.

«Il convient désormais de penser à une stratégie globale de sécurité à réadapter aux différents contextes. Il s’agit notamment de former les acteurs en matière juridique pour pouvoir s’informer sur les différents contextes, accroitre l’effectif et développer des instruments solides, fiables et crédibles en matière de justice», a conclu Jean-François Coustillière. «Penser global et agir local» est désormais une urgence sécuritaire.

Chaïmae Bouazzaoui

 

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