Université et intelligence artificielle : Le plagiat, principale inquiétude 

Par Souhir Lahiani*

Par Souhir Lahiani*

L’intelligence artificielle (IA) est en train de changer le monde dans lequel nous vivons à un rythme effréné. Les avancées en matière de traitement du langage naturel et de reconnaissance de la voix ont permis de développer des technologies telles que ChatGPT, qui ont un impact considérable sur les métiers d’aujourd’hui.
Plusieurs chercheurs développent une approche de complémentarité et de collaboration de la relation entre Humain et IA, non pas de substitution. Dans cette perspective, l’IA est vue comme une aide à l’activité et non pas comme une technologie substitutive.
Norman (2017) considère, par exemple, qu’à mesure que les technologies d’IA se développent, il faut penser cette relation en termes de « travail d’équipe ». Selon cet auteur, lorsqu’il s’agit de concevoir un système intelligent, il faut les considérer comme des collaborateurs, et non pas des substituts à l’humain. L’un des exemples de « travail d’équipe » qu’il donne est celui d’un système qui aide les designers à explorer des solutions de conception.

 IA : nouveaux horizons dans la recherche et le monde universitaire
Les technologies de l’intelligence artificielle et du traitement du langage naturel ont ouvert de nouveaux horizons dans la recherche et le monde universitaire. Parmi les technologies de transformation, ChatGPT, alimenté par GPT-3.5 d’OpenAI, a suscité une attention significative pour sa capacité à révolutionner le paysage de la recherche linguistique. Cette étude explore l’impact profond de ChatGPT sur la transformation des méthodes et des normes de recherche, ainsi que les opportunités et défis qu’il présente aux chercheurs et aux universitaires (Smith & Johnson, 2021).
Avec sa vaste base de connaissances et sa compétence linguistique, ChatGPT peut rapidement récupérer des publications pertinentes, résumer des articles de recherche complexes et même aider à générer des citations. Cette accessibilité à l’information permet aux chercheurs de rationaliser leurs revues de littérature, économisant ainsi du temps et des efforts pouvant être réorientés vers des aspects plus critiques de leur travail (Brown & Davis, 2020).

 IA et le monde universitaire : vision de l’université de Sfax
L’université de Sfax, comme toutes les universités en Tunisie, s’engage à garantir une Formation et une Recherche scientifique innovantes et responsables à fort impact socio-économique et ancrant sa responsabilité sociétale.
La vision de l’université de Sfax est celle d’être une université entrepreneuriale au service du développement socio-économique, culturel et durable. Elle se veut un pôle de formation et de recherche d’excellence, interdisciplinaire et attractif, ancré dans son environnement socio-économique et aspirant à rayonner à travers ses échanges nationaux et internationaux. L’université de Sfax a mis en place le programme de la Bibliothèque digitale, qui facilite l’accès à tous les ouvrages publiés.
L’université de Sfax travaille actuellement à certifier ses institutions selon les normes ISO 21001 et ISO 9001, en dispensant des formations aux enseignants et au personnel administratif. L’université s’intéresse également aux parcours et aux processus d’accréditation des parcours. Le vice-président de l’université de Sfax Faiez Gargouri, témoigne dans ce sens : « Nous avons investi considérablement pour garantir une qualité optimale pour nos étudiants, enseignants et membres administratifs ».

 Faiez Gargouri, vice-président de l’université de Sfax : « Il ne faut pas craindre la science en elle-même, mais plutôt son utilisation et les dérives possibles »
L’intelligence artificielle est largement utilisée de manière répandue à ce jour, mais en réalité, elle représente une méthode plutôt qu’une finalité en soi. Derrière elle, il y a toute une gamme d’applications et de logiciels.
Depuis son lancement en 2022, les chatbots d’IA ont suscité des inquiétudes dans le domaine de l’éducation. Bien que des risques concernant la détérioration de la pensée indépendante des étudiants et de leurs compétences en expression linguistique existent, bannir cet outil des institutions académiques ne devrait pas être la réponse (Dwivedi et al., 2023).
En ce qui concerne l’enseignement supérieur, le problème le plus complexe est le plagiat, une pratique sérieuse. Faiez Gargouri prend l’exemple ChatGPT qui, selon lui, est capable de générer une thèse : c’est là une préoccupation majeure pour les universités en lien avec l’IA. Gargouri avoue : « Personnellement, je pense qu’il ne faut pas craindre la science en elle-même, mais plutôt son utilisation et les dérives possibles. C’est un peu comme le cas de la dynamite, une invention noble à l’origine pour faciliter des constructions comme des ponts et des tunnels, mais son utilisation dans les guerres a eu des conséquences catastrophiques pour l’humanité. Cependant, l’IA a le potentiel de simplifier notre quotidien ».
Les étudiants pourraient exploiter des technologies comme ChatGPT pour accélérer la rédaction de leurs essais, mettant ainsi en danger le développement de compétences essentielles (Shrivastava, 2022).
Dans le même sens, Gargouri exprime sa crainte quant au risque que les chercheurs deviennent excessivement dépendants des technologies d’IA telles que ChatGPT, ce qui pourrait réduire les compétences de réflexion critique et de résolution de problèmes. Les chercheurs devraient trouver un équilibre entre l’utilisation d’outils d’IA et le développement de leurs capacités intellectuelles (Brown & Davis, 2020).
Selon Gargouri, il existe un paradigme de l’IA. Depuis 1958, nous l’utilisons, par exemple avec la traduction automatique. Il est crucial de discuter de la création d’applications basées sur l’IA plutôt que de la création de l’IA elle-même. Il y a une distinction à faire entre les concepts de paradigmes de l’IA et les applications de l’IA.
Il donne l’exemple de ChatGPT, une forme d’IA générative. Ce type de fonctionnalité nouvelle existe depuis un moment, comme lorsque vous saisissez un prénom dans Google et qu’il vous suggère automatiquement des noms. C’est ce qu’on appelle la génération, proposant des suggestions. La différence notable réside dans la rapidité et l’ampleur croissante de ces avancées. Cela ne relève pas simplement d’une tendance passagère ; il est crucial de rester attentif, car cela marquera un changement significatif dans nos modes de fonctionnement, similaire au passage avant et après l’utilisation généralisée des smartphones. Il est essentiel de se montrer vigilants à l’égard des nouvelles applications, telles que ChatGPT. Avant, Wikipedia était également une plateforme extraordinaire, un moyen d’apprentissage remarquable.

 Est-il possible en Tunisie de détecter une rédaction ChatGPT (texte
ghostwritО
ou
plagié)
?
Dans les universités tunisiennes, il existe des logiciels anti-plagiat, mais en ce qui concerne les applications développées par l’IA, comme chatGPT, il n’existe pas encore d’outil efficace pour détecter leur utilisation car ils traduisent, reformulent et structurent le contenu, ce qui rend leur détection complexe. Selon Faiez Gargouri, il est donc nécessaire d’établir des garde-fous dès le début afin de savoir comment les utiliser correctement.
Gargouri est catégorique, il est crucial d’inculquer une culture d’éthique et de rigueur scientifique aux jeunes avant de penser à créer des logiciels anti-plagiat. Par exemple, les exposés que les enseignants donnent aux écoliers sont souvent réalisés par les parents, ce qui crée une « normalité trompeuse » chez les enfants. Cela démontre un manque d’éthique structurée dès l’école, et nous devons faire un effort pour s’autocensurer dans ces situations, car comme on dit, «Charité bien ordonnée commence par soi-même».
En général, des domaines tels que le traitement d’image, l’analyse des données, les sciences des données, etc., visent à améliorer la qualité des soins, la sécurité et à envisager l’avenir. « Lorsque je parle des théories de l’IA, pour moi, elles s’inscrivent dans cette optique », conclut Gargouri.

 Craintes de remplacement des chercheurs humains
Selon Faiez Gargouri, « la perte d’emplois due à l’IA ne sera pas aussi catastrophique. Les emplois susceptibles d’être automatisés seront effectivement perdus, mais il existe des emplois qui restent hors de portée de l’automatisation. Même si des outils comme chatGPT peuvent réaliser un large éventail de tâches, y compris la création de scénarios de films, je suis convaincu que l’humain demeure au cœur de l’intérêt. Tout progrès vise à améliorer la vie quotidienne. Les principales inquiétudes concernant GPT résident surtout dans le plagiat, en particulier dans le contexte académique ».
ChatGPT n’est pas un remplacement pour les chercheurs humains, mais plutôt un outil puissant pour la collaboration (Smith & Johnson, 2021). Les chercheurs devraient le considérer comme un complément à leur travail, améliorant l’efficacité et la productivité.
D’autres experts pensent le contraire : utilisé sans précautions pour ses capacités intéressantes de brain strorming ou pour faire un résumé notamment, le chatbot pourrait devenir responsable d’une perte notable de la capacité d’innovation (Les Cahiers de l’IRAFPA, 2023).

 La consultation nationale sur la réforme du régime de l’Education et l’Enseignement
S’exprimant sur la consultation nationale actuelle sur la réforme de l’éducation, Gargouri atteste : « Je suis convaincu qu’une refonte complète du système éducatif est nécessaire. Actuellement, le programme scolaire ne favorise pas le développement d’un esprit éducatif chez les enfants. L’emploi du temps chargé les pousse à se concentrer uniquement sur la préparation aux examens, sans avoir suffisamment de place pour cultiver leur curiosité et leur pensée critique ».
Selon Gargouri, l’université de Sfax a activement pris part à la consultation nationale sur la réforme du régime de l’Education et l’Enseignement. « En tant que partenaire engagé dans cette initiative, nous avons dédié un espace équipé de ressources essentielles, mettant notamment des ordinateurs à disposition à l’entrée du siège de notre université pour ceux qui n’en disposent pas », en chaîne-t-il.

 L’université de Sfax répertoriée parmi les 1000 meilleures universités mondiales
Il convient de souligner que l’université de Sfax demeure la seule institution tunisienne à être répertoriée parmi les 1000 meilleures universités mondiales, selon le classement de Shanghai des universités en 2023. Cette réapparition dans ce classement prestigieux, après une première inclusion en 2019, représente un événement majeur pour l’enseignement supérieur en Tunisie. Cette reconnaissance pourrait avoir des répercussions significatives sur l’ensemble du système éducatif tunisien.
Cette réalisation est d’autant plus remarquable que l’université de Sfax se distingue en tant que seule université africaine faisant partie du réseau Civis, regroupant une dizaine d’éminentes universités européennes.
M.Ali Baklouti, 2e vice-président de l’université de Sfax, insiste sur le fait qu’elle ne se contente pas de ces réalisations et vise à maintenir sa position dans le classement de Shanghai pour les années à venir, aspirant même à gagner quelques rangs supplémentaires, démontrant ainsi sa volonté constante de progression et d’excellence.

 Détecter une rédaction ChatGPT, qu’en est-il à l’échelle internationale ?
Les enseignants et professeurs craignent les fraudes académiques potentielles liées aux chatbots alimentés par l’IA, tels que ChatGPT (Meckler et Verma, 2022). Les capacités de ChatGPT s’étendent de l’assistance dans les investigations savantes à la finalisation de compositions littéraires pour les apprenants (Roose, 2022; Shankland, 2022).
Dans ce sens, le groupe d’experts d’OrphAnalytics a développé une méthode de comparaison des styles par apprentissage automatique (Machine Learning) qui permet de détecter si l’auteur présumé a produit lui-même le texte. On compare le style d’un échantillon de documents de référence réellement écrits par l’auteur présumé avec celui du document à authentifier.
L’approche stylométrique d’OrphAnalytics utilise des outils algorithmiques développés au cours d’une vingtaine d’expertises. Certaines avaient des enjeux judiciaires, d’autres des enjeux académiques. Pour chacune de ces expertises, les experts ont un devoir de confidentialité. Mais, en 2021, l’actuel responsable de l’enquête sur l’Affaire Grégory, le « cold case » le plus célèbre de France, a autorisé OrphAnalytics à communiquer qu’elle a délivré une expertise dans cette affaire, fondée sur des analyses stylométriques obtenues par comparaisons séquentielles. Ces résultats ont permis de déterminer qui, dans un groupe de suspects, écrit avec un style très semblable à celui des trois lettres de menace anonymes envoyées avant l’enlèvement et à celui du message de revendication du crime (OrphAnalytics, 2021).

 Vers une réflexion plus critique et créative
La technologie bouleverse l’éducation et l’emploi. Jeff Maggioncalda, PDG de Coursera, estime que l’existence de ChatGPT changerait rapidement toute éducation basée sur l’évaluation écrite (Alrawi, 2023).
Au lieu de penser à l’interdiction d’utiliser la technologie IA, comme en France à l’université Sciences Po et dans certaines écoles publiques de New York et de Los Angeles, certains chercheurs exigent un double travail critique. Et si donc, par un judicieux paradoxe, l’usage critique des IA nous aidait, comme le souhaitait Bernard Stiegler, à « désautomatiser nos esprits» ?, s’interrogent Ariel Kyrou, Yann Moulier Boutang, Mathieu Corteel. Ces chercheurs optent pour une réflexion plus critique, ouverte et créative. C’est un concept qui encourage à briser les habitudes de pensée préétablies pour favoriser une approche plus réfléchie et consciente.
Les chercheurs de l’IRAFPA concluent : «L’IA sert à merveille à brainstormer ou à résumer de longs documents. En revanche, il faut pouvoir détecter l’usage du chatbot pour s’assurer qu’il fait (ou non) l’objet d’un contrôle humain, garant de l’authenticité des travaux et des publications. »
Anne Alombert est catégorique : « Plutôt que de se demander si nous devons accompagner ou interdire ChatGPT, il s’agirait alors de s’interroger sur les dispositifs numériques au service de l’intelligence collective et porteurs d’avenir pour les sociétés ».

*Docteure en sciences de l’information
et de la communication

Références bibliographiques
*GAGLIO Gérald, « Introduction », dans : Gérald Gaglio éd., Sociologie de l’innovation. Paris cedex 14, Presses Universitaires de France, « Que sais-je ? », 2011.
*Intelligence artificielle et médias sociaux : vers un nouveau paradigme de communication judiciaire, Charles Moumouni dans Communication & management 2020/2 (Vol. 17), pages 19 à 34.
*Andersen, R. H., Solund, T., & Hallam, J. (2014). Definition and Initial Case-Based Evaluation of Hardware-Independent Robot Skills for Industrial Robotic Co-Workers. 41 st International Symposium on Robotics. Munich, Germany, 2014, 1-7.

1Nayan Deep Singh Kanwal (2023). The Impact of ChatGPT on the Transformation of Research. Horizon J. Hum. Soc. Sci. Res. 5 (2), 9–11
2Texte original en anglais : « With its vast knowledge base and language proficiency, ChatGPT can swiftly retrieve relevant literature, summarize complex research papers, and even assist in generating citations. This accessibility to information allows researchers to streamline their literature reviews, saving time and effort that can be redirected toward more critical aspects of their work (Brown & Davis, 2020 »).
3Professeur d’informatique, ancien directeur de l’Institut supérieur d’informatique et de multimédia (ISIM) de Sfax
4Interview réalisée le 13 décembre 2023, avec Professeur Faiez Gargouri, vice-président de l’université de Sfax, au siège de l’université de Sfax.
5Texte d’origine en anglais “There is a risk of researchers becoming overly reliant on AI technologies like ChatGPT, potentially reducing critical thinking and problem-solving skills. Researchers should strike a balance between using AI tools and developing their intellectual capabilities (Brown & Davis, 2020)”.
6Smith, J. R., & Johnson, A. B. (2021). The impact of artificial intelligence on research methodologies. Journal of Advanced Research in Technology, 5(2), 87-102.
7« Détecter par stylométrie la fraude académique utilisant ChatGPT », Claude-Alain Roten, Serge Nicollerat, Lionel Pousaz, Guy Genilloud, OrphAnalytics, Vevey (Suisse), Les Cahiers de l’IRAFPA, Institut international de recherche et d’action sur la fraude et le plagiat académiques (IRAFPA), Vol1, N°1, 2023.
8Géant américain de la formation en ligne.
9The impact of ChatGPT on higher education, Juan Dempere, Kennedy Modugu , Allam Hesham and Lakshmana Kumar Ramasamy, Higher Colleges of Technology, Ras Al Khaimah, United Arab Emirates, september 2023.
10Ce que ChatGPT dit de nos intelligences, Ariel Kyrou, Yann Moulier Boutang, Mathieu Corteel, Dans Multitudes 2023/1 (n° 90), pages 41 à 43 2023/1 (n° 90), Éditions Association Multitudes.
11Institut international de recherche et d’action sur la fraude et le plagiat académiques (IRAFPA)
12ChatGPT : derrière le mythe de l’intelligence artificielle, les dangers des automates computationnels, Anne Alombert, mars 2023.

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