Assez souvent lorsque l’on parle de digitalisation on met en avant le côté positif et bénéfique et on oublie le côté négatif et « sombre”. On vante les bienfaits du numérique mais on minimise ses vrais méfaits et risques. Or, avec la digitalisation croissante de nos vies, l’éducation, le travail, la santé, les loisirs, migrent sur l’espace numérique…et il convient de rappeler que la guerre pourrait également se passer dans le monde numérique.
Nous sommes terrifiés par la perspective d’une guerre mondiale “physique” – où les combats seraient généralisés (rappelant les précédentes guerre mondiales). Ce scénario peu probable de nos jours cache une autre menace très réelle celle-là : une guerre mondiale cybernétique suite au conflit entre l’Ukraine et la Russie.
Les analystes sont unanimes sur le fait que son occurrence est inévitable. Ceci pourrait arriver par erreur ou sur des décisions politiques conscientes. En effet, l’armée russe ne fait pas peur uniquement sur les champs de bataille et par son arsenal nucléaire. Elle fait peur également en matière de guerre numérique. Elle est hyper entraînée et admet plus d’un tour dans son jeu. Elle pourrait par erreur ou de manière volontaire s’attaquer à des objectifs américains ou européens. Dans ce cas de figure, il est fort probable que l’escalade pourrait conduire à une perturbation forte sur la sphère numérique mondiale et à de fortes représailles.
Il est important de rappeler que les cyber attaques russes en Ukraine ont précédé les interventions militaires au sol (l’attaque des russes avec des “wipers”). Certains spécialistes estiment que les réseaux critiques et le cœur du pouvoir ukrainien ont déjà été hackés. Cette intrusion permet de limiter la capacité de riposte et d’affaiblir l’Ukraine sur un plan logistique et dans les chaînes de commandement militaire. Le 23 février, un logiciel destructeur « d’effacement des données » a été découvert circulant sur des centaines d’ordinateurs en Ukraine. Plusieurs sites Web financiers et gouvernementaux étaient en panne. Internet a été gravement touché dans certaines villes et le trafic Internet a chuté de 60 %. Depuis plus de deux semaines les systèmes d’enregistrement des naissances sont en panne. Les nouveaux nés ne sont pas enregistrés en Ukraine !
Pour les autorités russes, le numérique est une arme incontournable entre puissances ennemies. Les compétences “cybernétiques” s’élèvent au rang de nouvelles compétences des super puissances. Vaincre les ennemis dans ce domaine est beaucoup plus important qu’une victoire au sens classique de la guerre (sur le terrain). Poutine a insisté sur l’impératif du renforcement du pays sur le plan sécuritaire face aux menaces potentielles cybernétiques car il considère les attaques cybernétiques comme des attaques politico-militaires. En conséquence, savoir contrer ces attaques représente alors un véritable enjeu. Cette armée russe « informatique » a été utilisée par exemple pour attaquer l’Estonie. On se rappelle également les soupçons de son intrusion dans les élections aux Etats-Unis, en Angleterre lors du Brexit et dans bien d’autres endroits.
Le conflit pourrait se généraliser si le monde occidental décide de riposter sur le plan digital et de limiter la capacité d’action des russes en s’attaquant à leurs systèmes critiques. En effet, l’enjeu des prochaines journées c’est de savoir si le monde occidental va abandonner les menaces pour passer à l’action sur la scène digitale pour affronter la Russie. Ceci internationalise la guerre sur le net et le « dark » internet.
Les cyberattaques une nouvelle arme pour la guerre
Les armées modernes intègrent désormais les cyberattaques comme moyen d’armement et d’action. Les effets de l’implication de cyberattaques dans une guerre provoquent une attaque informatique contre un autre ordinateur qui provoque une sorte de répercussion dans le monde réel. L’utilisation de cyberattaques se fait plus rapidement que les attaques d’armes standard et supprime en grande partie les barrières de temps et de distance. Lancer des systèmes malveillants et des cyberattaques devient relativement bon marché et simple. Cependant, le coût et le défi de se défendre contre les cyberattaques deviennent plus élevés et plus difficiles.
En effet, plus un pays se fie aux systèmes digitaux pour son système administratif, plus il est susceptible de faire l’objet d’une guerre cybernétique. C’est le cas de l’Ukraine. À l’inverse, moins un pays dépend des systèmes informatiques, et dont l’armée se repose moins sur l’informatique, et plus il est avantagé. De plus, du fait de l’anonymat de ces offensives, le pays exposé à une cyber-attaque ne sait pas quelle autre puissance lui a déclaré la guerre cybernétique. Lorsque les systèmes informatiques commencent à se détraquer, il est souvent difficile d’identifier l’agresseur. Ceci a avantagé les russes dans le passé. La cyber-vulnérabilité est un facteur essentiel du conflit Russo-Ukrainien.
Mais la grande question consistera à savoir si les pays de l’OTAN vont lancer des cyberattaques contre la Russie dans les jours à venir comme moyen de rétorsion et quelles répercussions cela pourrait avoir sur la guerre “physique”. Les mesures américaines et européennes sur le plan financier pourraient enclencher des rétorsions sur le plan numérique.
Le Monde du numérique est constitué d’une constellation d’entreprises nations et de communautés qui cherchent à intervenir dans la gouvernance mondiale.
Il convient de signaler que le monde du numérique est un monde “libre” constitué par des entreprises nations et des communautés qui ne sont pas dans une logique étatique classique. C’est la position de ces géants du numérique qui est importante à observer dans les jours à venir. Facebook a limité l’accès à la Russie, il a été suivi par Twitter…
Les médias sociaux peuvent s’attaquer à la bataille de l’opinion publique russe et affaiblir la portée des informations locales en diffusant des contenus différents ou en limitant la diffusion de la propagande. Mais derrière cette position c’est un changement de paradigme qui s’opère et les entreprises s’attaqueraient à la neutralité de l’Internet. Elles deviennent ainsi positionnées stratégiquement. Les rétorsions seraient également importantes notamment si la Russie décide de faire bouger l’opinion publique des pays européens et notamment en France où une élection majeure se joue dans deux mois.
Dans le même temps, les communautés sur Internet se positionnent également dans cette guerre digitale. Le groupe très connu pour ses positions “Anonymous” a déclaré la guerre à la Russie et va chercher à saboter les systèmes informatiques russes dans les jours à venir. Ceci est suivi de nombreuses autres initiatives par des groupes moins connus. On s’affranchit des frontières pour entrer dans le champ de la bataille numérique.
Le comportement des entreprises et des communautés numériques pose réellement la question de la nouvelle gouvernance mondiale. De nouvelles institutions internationales davantage en phase avec ces nouvelles réalités sont réclamées de nos jours.
Élaborer une stratégie de cybersécurité est vital de nos jours pour tous les pays
Se protéger contre les attaques informatiques est devenu une priorité à l’ère du numérique pour toutes les nations. C’est la raison pour laquelle la cybersécurité constitue un élément important et une préoccupation montante pour tous les pays. Constituer une armée numérique est devenu un des axes majeurs de développement de l’armée dans le monde entier. Mais ceci nécessite des moyens importants et la capacité de recruter à grande échelle des spécialistes “rares” sur le marché. Les légions “étrangères” numériques sont ainsi une orientation possible et un axe de développement potentiel pour les armées. Des coopérations fines avec des communautés de hackers sont également possibles.
Toutefois, les inégalités se creuseront car l’armée numérique est aussi « coûteuse » que l’armée physique. Elle puise son avantage des avancées scientifiques. D’où les batailles de suprématie sur l’Intelligence Artificielle ou encore la bataille de l’ordinateur quantique. A titre d’exemple, l’Union Européenne a prévu des financements importants de la recherche et de l’innovation sur ce sujet dans leurs programmes, Horizon 2020 et son successeur Horizon Europe. Dans le cadre du programme pour une Europe numérique pour la période 2021-2027, l’UE s’est engagée à investir 1,6 milliard d’euros dans la capacité de réaction en matière de cybersécurité et le déploiement à grande échelle d’infrastructures et d’outils de cybersécurité dans l’ensemble de l’UE, pour les administrations publiques, les entreprises et les particuliers. Les objectifs de ces programmes et de ses investissements colossaux sont multiples : par exemple la protection des réseaux 5G, renforcer la cyberdéfense, stimuler la recherche et l’innovation, protéger les infrastructures critiques.
Alors que tous les regards sont braqués sur l’Ukraine et sur le terrain de la guerre, il est important de scruter dans les prochaines semaines ce qui pourrait passer sur la toile et sur internet. La guerre risque de faire autant de ravages économiques et sociaux !