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Trois semaines après l’apparition du variant Omicron, ce nouveau venu continue d’inquiéter la planète. Avec sa cinquantaine de mutations, il avait d’emblée suscité l’effroi. Un effroi encore renforcé par son impressionnante vitesse de diffusion en Afrique du Sud, où il a émergé, puis par la grande facilité avec laquelle il a déjà réussi à se propager un peu partout dans le monde. D’après les dernières données de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), il se trouve en effet déjà présent dans 57 pays. Si pour l’instant les questions restent encore nombreuses, les scientifiques commencent à y voir un peu plus clair sur ses caractéristiques. Des premiers indices sont apparus ces derniers jours. Avec des bonnes et des moins bonnes nouvelles, et aussi encore beaucoup de confusion, comme souvent lorsque les connaissances ne sont pas encore stabilisées.
*Un impact sur les vaccins, dont l’ampleur réelle reste à évaluer
C’est la grande question : le variant Omicron est-il capable de déjouer la barrière de l’immunité, qu’elle fasse suite à une infection ou à une vaccination ? Quatre premières études, menées en Afrique du Sud, en Allemagne, en Suède, et par Pfizer-BioNtech laissent penser que oui – même si une dose de rappel permettrait de restaurer une protection.
Ces travaux in vitro restent préliminaires, non revus par les pairs, et portent sur de tout petits effectifs, mais leurs résultats sont concordants. « L’étude sud-africaine montre qu’il y a une diminution d’un facteur 40 de la neutralisation post-vaccination avec le variant Omicron, ce qui est important. En revanche, cette diminution est un peu moins marquée chez les personnes qui ont été vaccinées après une infection, ce qui veut dire que l’efficacité de trois doses de vaccins devrait probablement rester importante », souligne auprès de L’Express le Pr Jean-Daniel Lelièvre, chef de service d’immunologie clinique et maladies infectieuses CHU Henri-Mondor à Créteil (AP-HP) et expert à la Haute autorité de santé.
L’étude allemande, pour l’instant postée uniquement sur Twitter par une de ses auteurs, a trouvé une réduction similaire pour les vaccinés deux doses. De leur côté, Pfizer et BioNtech ont indiqué dans un communiqué de presse que le sérum (la partie où se trouvent les anticorps) de personnes vaccinées avec deux doses produisait 25 fois moins d’anticorps contre le variant Omicron que contre le virus originel, « indiquant que deux doses de vaccins pourraient ne pas suffire à protéger contre l’infection avec Omicron ». Cette diminution n’était en revanche pas retrouvée avec le sérum d’individus ayant reçu leur troisième dose. Dans l’étude suédoise, la baisse d’efficacité avec deux doses paraissait plus faible.
Dans les jours qui viennent, de nombreuses autres études de laboratoire devraient arriver, avec probablement des résultats du même ordre. A l’Institut Pasteur, l’équipe d’Olivier Schwartz prévoit de diffuser des données en prépublication la semaine prochaine : « Nous étudions la sensibilité d’Omicron aux anticorps produits après une vaccination à une dose, deux doses et trois doses, pour différents types de vaccins, et aussi après une infection », détaille le chercheur.
* »Contre Delta ou contre Omicron, c’est le même combat »
« Mais ce qui sera déterminant, c’est de voir ce qui se passe dans la vraie vie, et sur les formes graves. Avec le variant Bêta, il y avait une diminution de l’activité neutralisante, mais le vaccin gardait une efficacité contre les formes sévères. Toutefois, il est trop tôt pour prédire ce qu’il en sera avec le variant Omicron, car il n’y a pas de corrélation stricte entre ce que l’on voit in vitro et in vivo, d’autant que d’autres parties de l’immunité entrent aussi en jeu, comme l’immunité cellulaire », souligne le Pr Lelièvre.
Sur cette question, Pfizer et BioNtech se montrent toutefois déjà rassurants : « La vaste majorité des épitopes ciblés par les cellules T induites par la vaccination ne sont pas affectés par les mutations présentes sur Omicron, donc les personnes vaccinées pourraient encore être protégées contre les formes sévères ». Les deux firmes précisent toutefois aussi que cela devra être confirmé par un suivi en vie réelle.
Dans ce contexte, tous les experts semblent unanimes pour affirmer qu’une troisième dose est plus que jamais nécessaire. « Il restera une forme d’efficacité de ces vaccins, en particulier pour les personnes ayant reçu ce boost immunitaire. C’est donc finalement le même combat contre Omicron et contre Delta », a ainsi insisté le Pr Jean-François Delfraissy, président du Conseil scientifique Covid-19, lors de son audition mercredi devant les sénateurs.
L’histoire ne s’arrêtera toutefois sans doute pas là, malheureusement : « S’il est probable que la dose de rappel sera protectrice contre Omicron, toute la question sera ensuite de savoir quelle sera la durée de cette protection, puisque la quantité d’anticorps, même après la troisième dose, va diminuer au cours des mois », avertit Olivier Schwartz. Peut-être en faudra-t-il alors une quatrième, comme l’a indiqué le Pr Delfraissy, voire un nouveau vaccin. « Les laboratoires y travaillent déjà, mais pour l’instant, il est beaucoup trop tôt pour savoir si ce sera nécessaire », précise Olivier Schwartz.
*Probablement pas plus grave, peut-être même un peu moins
« Pour l’instant, il n’y a aucun signe suggérant que ce variant est plus grave que les autres. Il semble comparable à ce qui a été observé jusqu’à maintenant. Peut-être qu’il entraîne une forme clinique un peu différente avec moins d’atteintes respiratoires et des atteintes plus globales », a indiqué le Pr Jean-François Delfraissy.
De fait, les données en provenance d’Afrique du Sud semblent montrer que la part de patients nécessitant d’être mis sous oxygène reste pour l’instant plus faible que lors des précédentes vagues. En Europe, aucune des personnes infectées n’a présenté de signes de gravité, note le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies infectieuses (ECDC). Ce qui laisse espérer à certains qu’Omicron s’avère une bonne nouvelle : un virus à la fois bénin et transmissible permettrait d’atteindre rapidement une immunité collective et de mettre un terme à la crise.
Il paraît toutefois encore trop tôt pour tout miser sur cette hypothèse, pour plusieurs raisons. En Afrique du Sud, la population est beaucoup plus jeune que celle de la vieille Europe, donc moins susceptible de développer des formes graves. Si elle est peu vaccinée, elle a probablement été largement immunisée par la violence des précédentes vagues. Quant à l’absence de décès ou de formes sévères liées à Omicron dans les pays occidentaux, il est difficile d’en tirer des conclusions, au vu du faible nombre de personnes concernées pour l’instant.
Les experts de l’Organisation mondiale de la santé appellent donc à la plus grande prudence. « Même si ce virus n’est pas plus virulent ou plus mortel, si nous le laissons se diffuser, il va causer un peu comme Delta ou d’autres variants un grand nombre de cas, qui vont mettre les systèmes de santé sous pression et plus de gens vont mourir », a averti Michael Ryan, responsable des urgences de l’Organisation mondiale de la santé lors d’un point presse. Par ailleurs, a rappelé Tedros Adhanom Ghebreyesus, le directeur général de l’organisation, « si le virus cause des symptômes plus légers que Delta, il ne faut pas oublier (…) qu’une partie des personnes infectées pourraient souffrir de Covid long ou de symptômes post-Covid, que nous commençons à peine à comprendre ».
*Un variant très transmissible
Une courbe du nombre d’infections qui s’envole pratiquement à la verticale en Afrique du Sud. Un cluster impressionnant en Norvège, où une seule personne de retour d’Afrique a contaminé la moitié des 120 convives lors d’un dîner. En début de semaine, déjà près de 200 personnes avait été infectées au Danemark, alors que le gouvernement avait imposé un confinement non seulement des cas contacts, mais aussi des contacts de ces cas contacts. Au Royaume-Uni, le nombre de cas dus à Omicron semble doubler tous les deux ou trois jours : une croissance très forte, même si le nombre de cas reste pour l’instant faible (moins de 600 mercredi), qui a poussé le gouvernement à prendre de nouvelles mesures restrictives, avec notamment davantage de télétravail et un passeport vaccinal dans les boîtes de nuit.
Les indices s’accumulent donc en faveur d’une très grande transmissibilité d’Omicron. « Elle est probablement un peu plus élevée que celle du variant Delta, qui est lui-même très transmissible », a indiqué le Pr Delfraissy. Mais dans quelle proportion exactement ? Impossible à dire pour l’instant, ont souligné les experts de l’OMS. Omicron a en effet surgi en Afrique du Sud à un moment où il n’y avait pas de vague de contaminations. Il ne se trouvait donc pas en compétition avec d’autres variants. « Nous devons maintenant surveiller la façon dont il s’implante dans d’autres pays, là où Delta circule beaucoup, et si nous avons le même accroissement du nombre de cas dans différentes populations », a indiqué l’OMS, tout en précisant que son taux de reproduction – le fameux « R » – devrait être connu dans les tout prochains jours.
Si les tendances observées en Afrique du Sud se confirment dans d’autres régions du monde, il faut toutefois s’attendre à voir Omicron devenir majoritaire « dans les tout prochains mois », a indiqué le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies. Mais cette prévision, qui se base sur des données très préliminaires, peut encore évoluer.
« La transmission est liée à deux facteurs : soit à la contagiosité, le R, qui est très élevé dans les premiers calculs en Afrique du Sud et en Angleterre, soit à une diminution de la sensibilité à l’immunité naturelle ou vaccinale. Mais une transmission élevée n’est pas une bonne nouvelle », a souligné le Pr Delfraissy.
*Peut-être un tropisme pour les enfants, sans certitude à ce stade
Ces derniers jours, les médecins sud-africains disent avoir enregistré un pic de contamination des enfants, notamment dans la province où le variant Omicron circule le plus. Il est toutefois trop tôt pour savoir si ce virus présente un tropisme particulier pour les enfants, ou s’ils sont plus touchés parce qu’ils ne sont pas vaccinés, et qu’ils ont peut-être été moins infectés lors des précédentes vagues. « Les médecins sud-africains m’ont confirmé ce matin qu’ils voient plus d’enfants hospitalisés, avec des symptômes un peu forts, sans toutefois qu’ils ne fassent de formes graves », a indiqué le Pr Delfraissy. Là aussi, il faudra encore attendre pour en savoir plus.
A ce stade, il semble toutefois qu’Omicron « ne soit pas le variant qui change tout et qui va nous remettre dans une situation dramatique », selon les termes employés par le Pr Jean-François Delfraissy, le président du Conseil scientifique, lors de son audition devant les sénateurs. Pour autant, la prudence reste de mise, car sa grande transmissibilité pourrait quand même à nouveau nous plonger dans une situation difficile dans les mois qui viennent.
(L’Express)