Vendeurs de faux rêves

La Tunisie peut-elle vivre en autarcie en se repliant sur elle-même ? La question taraude nombre de Tunisiens ces derniers temps, marqués par la résurgence d’un discours populiste empreint de souverainisme.  Depuis le démarrage de la campagne pour les élections présidentielle et législatives, les arguments populistes ont dominé le débat public et ceux qui les ont administrés parfois  à de fortes doses sont engrangé des sièges à l’ARP et acquis un poids politique prépondérant.
Les électeurs tunisiens, ceux qui ont cru à ce discours et pris pour argent comptant des thèses que très peu ont eu le courage de chercher à infirmer, ont fini par changer la donne politique dans le pays et balayer une classe politique qui a brillé par son incohérence et incompétence. Le plus grave, c’est que la confiance accordée à ces nouvelles figures du populisme  en Tunisie leur a offert une sorte de blanc-seing. Dans la mesure où les promesses électorales n’engagent que ceux qui les croient, on va vite déchanter et découvrir le pot aux roses. On ne tardera pas à se rendre compte du caractère fallacieux des thèses développées et de  la volonté délibérée de  certaines parties d’exploiter une corde fragile chez les Tunisiens, en les berçant de faux rêves et en abusant de leur naïveté.
A entendre ce discours aberrant, on fait miroiter au Tunisien que le pays baigne sous une mer de pétrole,  que le sel, notre or blanc, fait l’objet de prédation  par les anciennes puissances  coloniales. On a fait croire, également, à certains Tunisiens  que les richesses dont le pays regorge  permettraient à tous les Tunisiens de vivre dans l’opulence, qu’ils n’auront plus besoin de trimer, ni de suer, offrant au pays  la précieuse opportunité de renier tous ses engagements pris avec l’Occident qui symbolise les croisés   et les organisations financières internationales, survivance de l’impérialisme.
Tous ces prédateurs, à savoir les pays de l’Union européenne, le FMI, la  Banque mondiale et les autres, n’ont fait qu’appauvrir les Tunisiens en leur imposant leur diktat, leur ordonnant leur modèle et  en pillant, sans vergogne  leurs richesses.
Le plus grave, c’est que ces vendeurs de faux rêves se contentent, la plupart du temps,  d’avancer des contre-vérités,  de répéter à satiété des propos  inquisiteurs et accusateurs, à dessein de tirer un profit politique, en exploitant l’ignorance du  public et en cherchant à exacerber la haine de l’étranger et  de ses symboles. En revanche, pour concrétiser leur projet irréaliste, ils ne présentent aucun programme, aucune alternative crédible, aucune piste.
Pour l’Union européenne, par exemple,  notre premier partenaire économique  décrié comme une force impérialiste qui n’a fait qu’abuser de nos terres, de notre mer et de notre sous-sol, et de nos hommes, qu’adviendra-t-il   si on décide de recouvrer notre entière souveraineté,  nationaliser nos biens, lui tourner le dos et décidons de vivre en autarcie ?
Que ferons nous, également,  si le FMI, la Banque mondiale, la Banque européenne d’investissement, la BAD, et la liste est encore longue, ferment leur robinet ? Sur ces points précis, point de réponse, que du vent.
Ces propagateurs  de discours creux, ont-ils un jour mis sur la table une solution permettant au pays de créer des richesses, des emplois et de favoriser  une croissance soutenue et inclusive ?  Dans quelle mesure il sera possible,  dans un tel cas de figure,  de développer un système d’éducation performant, des services de santé efficaces dont profiteraient tous les Tunisiens, un système de sécurité social efficace et un modèle de développement qui rompt avec plus de 63 ans de dépendance ?
En laissant le terrain libre à ces vendeurs de faux rêves, acteurs politiques, élites, organisations de la société civile assument une grave responsabilité.  Si les acteurs politiques, y compris Ennahdha,  n’ont pas fini de recevoir depuis 2011 des estocades pour leur incapacité notoire à passer leur message et à animer un débat public profond et pluriel, il semble  que la leçon est loin d’être prise. Ils sont loin de tirer  les enseignements de leurs déconvenues à répétition. Qu’ils soient de la gauche, du centre, libéraux, socio-démocrates ou progressistes, ils ne trouvent pas encore les  bons arguments qui leur permettent de rebondir, de mettre un terme à une vague populiste qui risque de tout emporter avec elle.  Au moment où l’étau se resserre autour du pays, que l’amorce d’une nouvelle année risque d’être très compliquée sur les plans économique et social, on a l’impression que toutes les questions essentielles qui déterminent l’avenir des Tunisiens sont occultées, ignorées.
En lieu et place,  toute l’attention reste  focalisée sur le partage  du butin de guerre. Une guerre fratricide ne fait que gagner en ampleur sur la distribution des portefeuilles. Toutes les parties s’adonnent à un  marchandage parfois indigne de positionnement.
En même temps, point de place à un  programme, ni à une réflexion sur la nature du gouvernement. Au moment où le pays continue de s’enfoncer dans les abysses de l’improvisation et la recherche des solutions faciles, on constate fatalement qu’on perd  encore un  temps  précieux et qu’on se complaît à tourner le dos aux vrais problèmes et aux bonnes solutions.
Voir le défilé des prétendants qui se poursuit depuis plus d’une semaine à Diar Dhiafa à Carthage, les partitions répétées par les uns et les autres, ne peut que nous faire  craindre que le pays soit encore mal parti pour une nouvelle période de cinq ans, annonciateurs  de toutes les incertitudes et de tous les dangers.

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