Vers une nouvelle gouvernance mondiale par les entreprises technologiques ?

 

Dans ce court article je cherche à décrire à quoi pourrait ressembler la gouvernance économique mondiale dans un monde Post COVID-19 et quels rôles pourraient jouer les entreprises technologiques. Contrairement à ce qui est rêvé par les uns et les autres, le COVID-19 s’avère un accélérateur de tendances et nous rentrons avec une vitesse sans précédent dans un « capitalisme digital » dans la main de quelques entreprises technologiques.

Dans son dernier Livre, « Shaping the future of the fourthindustrialrevolution », le patron du World Economic Forum (WEF) Klaus SCHWAB [1] posait la question de la gouvernance des évolutions technologiques et le boom sans précédent des technologies digitales. Selon Schwab, les entreprises technologiques sont à l’originede la déferlante technologique et la culture du « Dataïsme» en tant que mode de pensée ne cesse de progresser dominant les autres modes de pensée (religions, discours scientifiques…). Le « dataïsme » s’articule autour d’une idée simple : tout l’univers est régi par les mêmes lois : « des informations structurées par des algorithmes » et il suffit alors de décoder les algorithmes pour arriver à décoder les formes suprêmes d’existence. Ce courant,de plus en plus puissant dans la « SilliconValley », a tendance à se propager au reste du monde via l’université de la singularité ou d’autres formes d’organisations des savoirs.

Donner du sens aux évolutions technologiques et définir la nouvelle gouvernance mondiale apparaît alors de plus en plus une évidence dans un monde où les institutions mises en place lors des accords de « Bretton Woods » sont attaquées de toutes parts et ne semblent plus apporter les réponses satisfaisantes aux problèmes posés. Cette gouvernance est fondamentale pour dessiner un meilleur avenir et échapper aux dérapages et à une perte de contrôle attendus. Dans le même temps, les entreprises technologiques s’affirment de jour en jour dans la gestion de notre quotidien. Elles occupent une place prépondérante dans notre travail, notre éducation, nos loisirs, notre information et nos relations sociales. Cette place de plus en plus importante dans nos vies, laisse à penser qu’elles sont entrain de dessiner également notre futur.

La crise du COVID-19 illustre cette montée en puissance des entreprises technologiques et la faiblesse des institutions internationales classiques qui se trouvent au cœur des tempêtes.

Une démonstration sans précédent de la suprématie des firmes technologiques dans la gestion de la crise du COVID-19

Dans une tribune récente parue dans le journal le Monde, le Patron de Microsoft Bill Gates explique clairement sa vision du monde futur et la manière de résoudre ce type de problèmes. Il appelle les dirigeants du Monde à abandonner leurs approches classiques et à agir différemment. Mieux, Bill Gates a clairement été un des rares à anticiper cette pandémie et son déroulement de manière spectaculaire (voir son discours TedX de 2015). Il avait également incité la communauté internationale à agir avant l’irruption de nouveaux coronavirus. Il a, par ailleurs, investi des sommes colossales dans la recherche de nouveaux médicaments et vaccins pour les futurs « coronavirus ». Cette capacité d’anticipation, en partie fondée sur les informations fournies par Microsoft, montre à quel point les entreprises technologiques ont la capacité à comprendre et à anticiper le futur.

Sur un autre plan, Jack Ma, patron de Alibaba a conduit une opération sans précédent sur le continent africain en livrant des millions de masques à des pays, livrés à eux-mêmes, là où les pays du nord étaient en train de voler sur leurs tarmacs des cargaisons de masques achetées par leurs partenaires ! Amazon, l’autre géant de la vente en ligne, ne pouvait répondre à une augmentation exponentielle des commandes. Elle était parmi les rares entreprises à recruter, là où tous les commerçants sont entrain de déprimer. Il a même fallu une intervention publique pour limiter son offre de produits et la réduire au strict minimum pendant la période de confinement. Là où Amazon a affirmé sa suprématie, une vague de dépôts de bilan sans précédent se prépare dans les petits commerces.

Le tracking et le tracing,éléments essentielsde la future stratégie de sortie du confinement, ne pourraient être efficace sans l’aide des entreprises technologiques. Google, en disposant de la géolocalisation des personnes et des cartes de leurs déplacements et de leurs interactions avec les autres, semble être le seul à disposer des clés d’un retour à la normale de nos activités économiques dans les deux prochaines années. Pendant ce temps, et avec plus de 3 milliards d’individus confinés, les seules interactions liées au travail et à l’école ont été organisées par Microsoft Teams, Zoom, Skype, Messenger, Viber…Nous étions strictement dépendant de la technologie.

Pour notre socialisation et nos rapports sociaux nous étions réduits à de rares moments sur les balcons ou à l’usage intensifs des réseaux sociaux pour prendre les nouvelles de nos familles et amis. Faute d’alternatives, les plus récalcitrants ont rendus les armes. Le temps consacré aux réseaux sociaux a fait craindre le pire relativement à la saturation des serveurs des entreprises comme Facebook, Instagram, Zoom…

Bref, la période de confinement a été une aubaine sans précédent et une démonstration de force de l’efficacité des entreprises technologiques. Cette occasion rêvée a ancré l’idée selon laquelle sans nul doute le futur du capitalisme est strictement dépendant des entreprises technologiques !

Les ambitions sont démesurées et la menace sur la vie privée est totale

Mais les ambitions des entreprises technologiques ne s’arrêtent pas au volet marchand et social. Elles ambitionnent également de s’étendre à nos modes de gouvernance. Ces acteurs états sont des acteurs qui pèsent dans la gestion de la planète. Dès lors, elles cherchent à ce que l’on tienne compte de leurs positions, avis et réflexions dans la détermination des modes de régulation de ce monde. Cette ambition n’a jamais été cachée. Si le premier canal a été un canal classique d’établir un lobbying actif auprès des principaux décideurs dans le monde, elles semblent de nos jours établir des stratégies allant vers la remise en cause des modes de régulation interétatiques classiques.

Larry Page n’a cessé d’affirmer que,« dès lors que les entreprises technologiques ont une meilleure compréhension du futur,elles étaient mieux à même de définir la future gouvernance mondiale que les gouvernements et les institutions internationales.Dans la nouvelle gouvernance mondiale, Google, Facebook, Alibaba devraient avoir pleinement leur place.La montée en puissance des acteurs non-étatiques n’est pas une chose nouvelle dans les relations internationales, mais ce que cherchent les entreprises technologiques est strictement différent. Elles ont la capacité de nos jours d’intervenir sur les résultats des élections de pays les plus puissants au monde. Elles ont la capacité de monter les opinions publiques contre leur propre gouvernement. Elles sont capables, d’influencer l’information à l’échelle mondiale et de stopper ou de laisser faire les « fake news »… Elles admettent un pouvoir de négociation grandissant sur les États-Nations. Leurs patrons sont reçus en grande pompe dans les lieux de décisions.

Nous assistons même à une diplomatie inversée. Le Danemark a été le premier pays au monde à créer une ambassade – oui une ambassade avec un ambassadeur – au coeur de la SiliconValley pour établir un dialogue politique avec les géants du net. Il a été suivi par la Corée du Sud et d’autres pays y songent fortement. C’est au pays de venir comprendre le monde futur au sein de la Silicon-Valley et non pas l’inverse !

La fragilité des institutions internationales est criante de nos jours. Difficulté de concilier les points de vue des pays, non-respect de leurs résolutions, inaction lors de nombreuses crises comme la crise écologique, dépendance financière des gros acteurs…Leurs poids dans la gestion des affaires internationales tendent à diminuer. À ce titre, le G20 s’est récemment tenu à Riyadh – virtuellement – sans qu’il soit audible sur la gestion de la crise du COVID-19 et sans proposer une seule initiative de sortie de crise. L’OMS est pointé du doigt dans sa gestion de la crise de nos jours. Elle semble ne pas avoir pu contrôler la véracité des informations fournies par la Chine, notamment sur le caractère transmissible d’homme à homme dans les premières semaines.

Dans ce cadre, la réflexion sur un régime de gouvernance, après COVID-19 amènera sur la table les entreprises-Etats à la table des négociations, car elles possèdent une partie des solutions futures. Cette ambition démesurée fait craindre le pire. The Economist a publié un article récenten nommant les GAFAM de « Baadd » [TooBig, Anti-competitive, Addictive, DamagingDemocracy]. Elle demande de les réguler ! Mais réellement, est-on en position d’imposer des formes de régulation à des entreprises qui admettent de meilleures informations que celles détenues par tous les services secrets mondiaux réunis ?

La gouvernance par des gouvernements très orientés à court terme est à l’origine de cette catastrophe (J. Tirole). Les firmes technologiques proposeraient des solutions orientées à long terme, dépassant les cycles électorauxet les intérêts égoïstes de certains pays. Cette même conception des élections pourrait être revisitée. En effet, les votes des citoyens pourraient être plus fréquents avec les votes électroniques. Des technologies puissantes pourraient de nos jours permettre de faire des référendums plus fréquemment sur des choix importants.

Capitalisme vs Socialisme à la chinoise avec comme arbitre les entreprises technologiques

Dans son fameux essai Capitalisme contre Capitalisme, Michel Albert, ex PDG d’AXA, décrivait un nouveau monde après l’effondrement du mur de Berlin, où le capitalisme n’avait plus d’adversaire. L’hypothèse d’un affrontement entre le capitalisme anglo-saxon et le capitalisme partenarial (Germano-Nippon) était alors évoqué pour décrire la bataille idéologique future. Cette confrontation, qui n’a eu lieuque partiellement, n’est plus d’actualité. Un affrontement entre la Puissance chinoise (une alternative socialiste) et l’occident semble se profiler dangereusement. Cette confrontation se dresse clairement dans la gestion du COVID-19 et dans les campagnes de désinformations que subit chaque clan. Mais sur le fond de cette bataille, nous pouvons aussi se profiler une bataille GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft) vs BATX (Baidu, Alibaba, Tecent, Xiaomi). La gouvernance du monde futur est avant tout une question technologique, dans laquelle celui qui aura un accès à l’informatique quantique et l’intelligence artificielle sera maître du monde.

Le COVID-19, accélérateur de tendances, met à nu clairement la ligne de la fracture et la place prépondérante des firmes technologiques dans la future gouvernance du monde.

[1] K. SCHWAB (2018), « Shaping the Future of the Fourth Industrial Revolution »: A guide for a Better World. Penguin Random House. London.

 

 

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