(Vidéo) Loi sur la responsabilité médicale : les professionnels de santé peu convaincus

Plus d’une fois, la question cruciale de l’inadéquation entre le cadre juridique et le secteur médical a été signalée en Tunisie. Depuis 2017, suite à l’emprisonnement d’une médecin pour une faute médicale, la question a été remise au goût du jour. A partir de cette date, quelques avancées ont été constatées. Récemment, la commission parlementaire de la Santé a adopté le projet de loi sur la responsabilité médicale sous sa seconde version.
Celle-ci a fait l’objet d’un débat organisé le mardi 28 septembre 2020, auquel ont pris part des médecins et des syndicalistes. C’était l’occasion, pour un bon nombre de participants, de mettre en exergue les différentes lacunes du texte actuel. Pour plusieurs praticiens, à l’instar du Docteur Faouzi Charfi, il est important d’élargir les concertations à propos de ce projet de loi en vue d’en faire un texte adapté au contexte tunisien.

L’absence des compagnies d’assurance pointée du doigt

Abdelatif Mamoughli, président de l’Association Tunisienne de la loi des assurances, a rappelé que la version actuelle du texte comprend des dispositions allant à l’encontre de l’égalité devant la loi et des principes constitutionnels. C’est, d’ailleurs, le CSM (Conseil Supérieur de Magistrature) qui l’a souligné selon lui.
Le président de l’association a également déploré l’absence d’un volet consacré aux assureurs. Ces derniers, poursuit-il, doivent contribuer aux indemnisations des patients en cas de faute médicale ou d’un accident. « Le secteur joue, pourtant, un rôle primordial dans le fonctionnement de l’économie et de la société. Ce silence [à propos des assureurs] signifie que toutes les indemnités seront versées par le fonds qui a été mis en place dans le cadre du projet de loi sur la responsabilité médicale. Or, celui-ci risque de rencontrer de nombreuses difficultés », a-t-il mis en garde.
Présent, également, lors du séminaire sur la responsabilité médicale, Habib ben Hassine, président de la Fédération Tunisienne des Sociétés d’Assurances (FTUSA), a assuré que ce projet de loi constitue le seul moyen de garantir les droits des patients et de protéger les médecins. « La Fédération a émis des propositions. Les assureurs sont prêts à contribuer à la réussite de ce projet. Il faut noter, toutefois, que le fonds prévu par le texte risque de peser sur les finances publiques », a-t-il expliqué.

Réalisation et montage de la vidéo : Fakhri Khlissa

Lacunes juridiques : ce qu’il faut savoir

Sur le plan juridique, les lacunes sont aussi nombreuses selon la professeure Salma Abid Mnif qui enseigne à la Faculté de Droit et des Sciences Politiques de Tunis. « Actuellement, la responsabilité pénale d’un médecin relève du code pénal – articles 217 et 225 -. Dans notre pays, le système judiciaire accroît les inégalités sur le plan des indemnisations – en fonction, par exemple, des relations entre le patient et le praticien -. Il existe une autre inégalité. En effet, conformément au Droit administratif, la responsabilité administrative est indépendante de la responsabilité pénale au sujet des indemnités, ce qui n’est pas le cas pour le droit judiciaire », a-t-elle encore expliqué.

Le fonds des indemnisations et ses limites

L’autre problématique soulevée par les experts porte sur le fonds qui a été spécialement créé dans le cadre du projet de loi sur la responsabilité médicale. Ce fonds, à titre de rappel, devrait permettre de verser les indemnités nécessaires aux patients. Or, la question de son financement pose problème selon les experts. Certains considèrent qu’il constituera un fardeau pour les finances publiques. De plus, les dispositions actuelles de la loi ne sont pas claires au sujet des modalités d’indemnisation – que ce soit pour faute ou l’accident médical -. Plus encore : les laboratoires et les producteurs d’équipements médicaux participeront au financement de ce fonds. La question qui se pose est la suivante selon les experts : le concept de la responsabilité médicale va-t-il être adapté à ces laboratoires et ces producteurs, sachant qu’en Europe, ces acteurs sont protégés par la loi ?
Il est clair que les débats seront encore longs au sujet de la responsabilité médicale en Tunisie. Retrouvez, en vidéo, les moments forts des débats de ce mardi 28 septembre 2020.

F. K

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