Vie politique  : Des partis dans le coma

Depuis la montée en puissance de Kaïs Saïed, la bulle partisane s’est quasiment effondrée sur elle-même. Entre le Front du salut qui peine à mobiliser les formations politiques qui adoptent un profil bas et celles qui se sont évaporées, à quoi ressemble le paysage partisan actuel ?

Par Hatem bourial

Mais où sont donc passés les plus de 200 partis politiques nés de l’après-révolution ? On les savait pour la plupart inconsistants, voire inexistants, mais de là à disparaître avec armes et bagages, semblait peu envisageable. Et pourtant, comme une baudruche de foire, la grande majorité de ces partis politiques a fait pschitt et a tout l’air d’être passée à la trappe de l’histoire. 
Ainsi, la période d’ébullition partisane que la Tunisie a traversée semble bel et bien derrière nous, alors qu’une nouvelle reconfiguration est en train de se mettre en place. Une majorité de partis et non des moindres, sont devenus inaudibles et n’interviennent quasiment plus dans le débat public. 

L’élection de Kaïs Saïed à la présidence : un appel de l’électorat à nettoyer les écuries d’Augias ? 
La dissolution de l’Assemblée des représentants du peuple dans son ancienne mouture, a fortement impacté la vie politique partisane et, alors qu’il était de coutume de distinguer entre les partis représentés au Parlement et ceux qui ne l’étaient pas, cette réalité est devenue caduque. De même, la distinction entre partis de la majorité ou de l’opposition n’est plus opérante à l’heure actuelle. 
Dans cet ordre d’idées, le chef de l’État n’a eu de cesse de remettre en question la pertinence des partis politiques, considérant ces corps intermédiaires comme un facteur politique dépassé et les dénonçant pour leurs connivences souvent avérées. Pris pour cible par le discours présidentiel, désignés à la vindicte populaire, plusieurs partis ont été couverts d’anathèmes et accusés de dérives allant jusqu’à la concussion ou la trahison. 
Dans ce contexte, de nombreuses formations ont choisi de faire le dos rond et laisser passer la tempête alors que d’autres sont aux abonnés absents. Seuls les partis fédérés par le Front du salut, ceux en quête d’une alternative négociée et ceux résolument favorables à Kaïs Saïed, restent audibles. Entre-temps, l’Assemblée des représentants du peuple se met en place et l’opinion publique attend de mieux savoir quelles seront la consistance et les orientations des blocs parlementaires qui devraient la structurer. 
Par ailleurs, tout aux casseroles tintantes qu’ils traînent, des partis comme Ennahdha redoutent une dissolution toujours possible et un traitement sécuritaire que les récentes péripéties du «complot contre la sûreté de l’État» laissent entrevoir. Cette panique générale qui heurte de plein fouet plusieurs partis politiques, atténue leur présence et aussi leur capacité de mobilisation. 

Quand se dégonfle la baudruche partisane 
Les choses en sont arrivées au point où évoquer un coma partisan ne relève plus de l’exagération mais désigne bel et bien un état de fait. Si l’on entend çà et là, quelques réactions éparses à propos de diverses questions d’actualité, la plupart des leaders politiques se sont évanouis dans la nature, laissant le soin aux plus irrédentistes d’entre eux, de s’opposer au diktat anti-partis du président de la République. 
Si la bulle partisane s’est dégonflée, cela a permis par ricochet de relativiser les joutes politiques et d’assainir une atmosphère devenue délétère. Les Tunisiens avaient commencé à tourner en dérision le spectacle scabreux auquel se sont livrés certains de leurs députés. De même, devant les retournements de veste, les alliances contre-nature et les trahisons des promesses électorales, l’opinion publique avait clairement pris ses distances par rapport aux partis politiques. 
D’ailleurs – faut-il le rappeler ? – l’élection de Kaïs Saïed à la tête de l’État procède de cette dynamique qui consistait à dénoncer les agissements des apparatchiks partisans et de la nouvelle nomenklatura dans son ensemble. Et s’il est une promesse que Kaïs Saïed a entièrement tenue et qui lui vaut une grande popularité, c’est bien ce nettoyage des écuries d’Augias qu’il a engagé dans une classe politique discréditée et disqualifiée aux yeux de l’opinion. 
Reste que cette même opinion s’interroge sur les capacités effectives du nouveau personnel politique, surgi de nulle part et n’ayant parfois ni cursus administratif ni formation politique. Si la notion de loyauté et la réputation de probité ou de virginité politique peuvent avoir un poids important, elles restent insuffisantes et ne débouchent pas nécessairement sur une gouvernance efficace et cohérente. 

La question récurrente du profil des nouveaux personnels politiques 
Toutefois, le même phénomène s’était produit en 2011 lorsque des novices sont montés au créneau et, dans certains cas, avaient fait leurs preuves. Il n’en reste pas moins que dans ce cas, ils étaient appuyés par leurs partis respectifs dont ils recevaient consignes et mots d’ordre. De même, du temps de l’Ancien régime, le parti unique servait à la fois de courroie de transmission et de corset, prenant l’allure d’un État dans l’État, voire celle d’une colonne vertébrale qui se confondait avec l’Administration. 
Aujourd’hui, ni le parti unique, ni la confusion ne sont de mise. Les islamistes d’Ennahdha étaient d’ailleurs passés maîtres dans l’instrumentalisation de la multitude partisane, jouant les individus contre leurs partis, gouvernant derrière des écrans de fumée et régentant ainsi la vie politique. Ce sont bien eux qui ont déployé un double agenda politique autour d’un pôle parlementaire en apparence seulement. En effet, alors que les députés s’évertuaient à perdre le temps de la République, le parti opérait un maillage systématique du territoire au nom de l’islamisation par le bas. Se comportant comme l’héritier révolutionnaire du parti unique de Bourguiba, le mouvement islamiste poussait jusqu’à son extrême limite la mainmise partisane sur un pays épuisé. 
Cette attitude des nahdhaouis est pour beaucoup dans le délitement du politique dans notre pays. Elle a suscité l’émergence d’une génération opportuniste, agissant au sein de partis du même acabit. La fin justifiait les moyens et tous les coups étaient permis pour quiconque rêverait d’un maroquin ou d’une trajectoire qui le propulserait en haut de l’affiche électorale. Alors que l’opinion croyait que Nidaa Tounes serait l’alternative aux dérives islamistes, ce parti implosera progressivement tout en ayant auparavant adopté la même culture politicienne que ses repoussoirs nahdhaouis devenus ses alliés par la magie d’un tour de passe-passe nommé consensus. 

Investir sur le local signifie-t-il dépolitiser la société tunisienne ?
Le rejet de Kaïs Saïed pour les partis politiques se nourrit-il des épisodes scabreux qui ont précédé sa montée en puissance ? La réponse est naturellement positive, car c’est d’abord à ce jeu partisan que le coup de force du 25 juillet 2021 est venu mettre un terme. Au-delà, le président de la République défend des thèses localistes et prône une vision où la démocratie locale exorciserait les démons des grands appareils. Toutefois, cette approche prend-elle en considération les grandes familles politiques ou bien les principaux pôles idéologiques ?
Il est à craindre que non car ni gauche, ni centre, ni droite ne sont considérés pour parler schématiquement. De plus, en termes de sensibilités idéologiques, le panarabisme, l’islamisme, le libéralisme ou le socialisme trouveront toujours les canaux et les hommes pour s’exprimer. Ne pas considérer ces contraintes revient à cacher la poussière sous le tapis, à moins d’une hypothétique dépolitisation complète de la société tunisienne. 
Parallèlement aux avancées de Kaïs Saïed en direction de son projet localiste, un front du refus s’est dûment constitué et continue sa contestation à partir de plusieurs tribunes. Ces partis qui vont de la nouvelle formation destourienne de Abir Moussi au mouvement présidé par Rached Ghannouchi sont pour le moment condamnés à des actions mineures d’agitation-propagande en espérant une inflexion de la détermination de Kaïs Saïed. 

La facture des errements antérieurs, de l’hubris dévorante et des fragilités congénitales 
Pour le reste, c’est la Bérézina au plein sens du terme : certains partis ont fait leur temps et sont passés à la trappe, d’autres formations circonstancielles ou supplétives sont en mal de parrains, d’autres partis qui sont de notoriété alignée sur des puissances étrangères adoptent un profil bas. 
Dans ce paysage quasiment désert, seules quelques formations en appellent au pragmatisme, au juste milieu et à une sortie de crise par la concertation. La conjoncture étant, ces partis sont peu audibles mais leur position contribue à désamorcer le climat de confrontation qui prédomine dans certains milieux. 
Enfin, le projet de dialogue national inclusif voulu par l’Union générale tunisienne du travail, s’il supplée la défaillance prospective et populaire des partis, n’en reste pas moins au point mort, face à la fin de non-recevoir du chef de l’État. Ceci aurait-il des répercussions sur le front social ou un impact sur la polycrise que traverse la Tunisie ? Question ardue, car aussi bien le palais de Carthage que la place M’hamed Ali n’ont pas fini d’abattre leurs cartes. 
Quant aux partis politiques dans leur ensemble, ils restent en stand-by, attendant un rebond salutaire et une éclaircie dans la grisaille qui les entoure. Pour certaines formations nées au rythme des champignons en automne, c’est la croisée des chemins. Résister, se reconstruire, fusionner, se saborder, risquer la dissolution ou disparaître : telles sont les options pour des partis qui paient la facture de leurs errements antérieurs, de leur hubris dévorante et de leur fragilité congénitale. 

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