VIH/SIDA: lutter contre les inégalités pour une riposte efficace

Les défis persistants dans la lutte contre le VIH/SIDA en Tunisie soulignent l’impératif de redoubler d’efforts et d’adopter des approches inclusives et adaptées. Cet appel à l’action a trouvé écho lors de la conférence nationale qui se déroule les 14 et 15 décembre 2023 à Tunis, sous le thème « Le VIH/SIDA et les Droits des Populations Vulnérables en Tunisie, Vers une Approche Inclusive ». Organisée par Avocats Sans Frontières en Tunisie, ONU Sida et IDLO, cette conférence organisée à l’occasion de la journée mondiale de lutte contre le Sida réunit acteurs institutionnels, membres de la société civile, professionnels de la santé, représentants des médias, et d’autres parties prenantes. L’objectif étant d’explorer le rôle des droits humains dans la riposte au VIH/SIDA en Tunisie, en identifiant les défis majeurs et les axes prioritaires de plaidoyer.

En Tunisie, des obstacles significatifs compromettent l’accès des personnes vivant avec le VIH (PVVIH) et des populations clés aux moyens de prévention, à un traitement équitable, et à l’exercice effectif de leurs droits. Les lois répressives et la criminalisation de divers comportements entravent le recours aux tests de dépistage, contribuant à la résurgence de l’épidémie au cours des dernières années.

Lors de son discours d’ouverture, Insaf Bouhafs, responsable du programme d’accès à la justice au sein de ASF en Tunisie, a souligné que cette conférence nationale vise à mettre en lumière la place centrale des droits humains dans la riposte au VIH/SIDA. Elle a insisté sur le fait que, au-delà des aspects médicaux et sanitaires, le rapport de l’ONUSIDA de 2022 a révélé que les inégalités constituent la principale barrière à une riposte efficace. Ces inégalités touchent les communautés, les populations vivant avec le VIH/SIDA, ainsi que les populations clés, affectant divers domaines tels que l’accès au traitement, aux soins de santé, à la justice, aux logements dignes et à des emplois décents.

Dans ce contexte, Insaf Bouhafs a souligné l’importance d’opter pour une approche multidisciplinaire, de maximiser les efforts et de fédérer les initiatives pour travailler de concert. Plutôt que de fonctionner de manière isolée, cette approche collaborative vise à optimiser l’impact des actions entreprises. Elle a ajouté qu’il était nécessaire d’identifier clairement les priorités du plaidoyer. Ces priorités consistent à déterminer les axes stratégiques sur lesquels concentrer les efforts en vue d’atteindre l’objectif ambitieux d’éradication du SIDA d’ici 2030. Malgré l’urgence de cette mission, le bilan actuel est jugé faible, suscitant ainsi une sonnette d’alarme.

Insaf Bouhafs a souligné que l’éradication du VIH/SIDA en 2030 est une perspective ambitieuse, mais les défis actuels exigent une action rapide et collective. Il est impératif de réaliser ces tâches de manière efficace, rapide et surtout, en unissant toutes les forces disponibles.

« On tire la sonnette d’alarme parce qu’il reste beaucoup de choses à faire. Ces choses, il faudrait les faire bien, vite et surtout toutes et tous ensemble« , a-t-elle affirmé.

Chiffres alarmants et appel à des réformes législatives

En effet, les chiffres présentés par le directeur du bureau de Tunis d’Avocats Sans Frontières (ASF), Ramy Khouili, confirment bel et bien cette situation alarmante. Après plusieurs années de stabilisation, le nombre des nouveaux cas recensés annuellement s’est doublé par rapport à l’année 2010, où 70 nouveaux cas d’atteinte au VIH/SIDA étaient recensés par an. En effet, ce chiffre a augmenté de 100% pour atteindre 150 nouveaux cas en 2020. Contrairement à la plupart des pays dans le monde, le nombre des cas de contamination au VIH-Sida en Tunisie est en hausse incessante, atteignant près de 7100 cas.

En ce qui concerne les solutions pour lutter contre ce fléau, Khouili souligne l’impératif de réformes dans le cadre législatif actuel, le qualifiant de criminalisant pour les individus affectés par cette maladie. Il explique que ces personnes, déjà victimes d’exclusion et de marginalisation, rencontrent des obstacles dans l’accès à l’information, aux soins et à leur intégration sociale.

Des progrès significatifs mais des défis de taille

De son côté, Arnaud Péral, coordinateur Résident des Nations unies, a dressé l’état des lieux de la situation du VIH/SIDA en Tunisie, soulignant à la fois les progrès réalisés et les défis persistants. Selon lui, malgré la baisse du nombre de nouvelles infections, la persistance des décès liés au Sida souligne l’urgence de redoubler d’efforts. Il a souligné le thème de la Journée mondiale de lutte contre le SIDA cette année, appelant à confier le leadership aux communautés, affirmant que c’est par leur action déterminante que l’éradication du VIH/SIDA peut être réalisée.

Il a félicité la Tunisie pour ses progrès significatifs depuis 2006, soulignant l’élaboration de plans stratégiques nationaux et l’instauration d’une feuille de route rigoureuse pour lutter contre l’épidémie. Il a considéré que les acquis majeurs, tels que la gratuité de la prise en charge et des traitements, démontrent un engagement inébranlable envers la santé publique. En revanche, il a précisé que malgré ces avancées, des défis subsistent, notamment la cible de traitement de 95% d’ici 2025, loin d’être atteinte avec seulement 26% des personnes atteintes du VIH actuellement sous traitement.

Il a ajouté que la révision du plan stratégique national 2021-2025 étendu à 2026 met en lumière l’importance cruciale de fonder la riposte sur la lutte contre la stigmatisation, le respect des droits humains, l’égalité des genres, et la lutte contre la violence basée sur le genre.

Arnaud Péral a souligné l’importance de renforcer le leadership des communautés, d’innover dans la prévention et le dépistage, et de mettre l’accent sur les droits humains et l’égalité des genres pour envisager sérieusement la fin du VIH/SIDA. Pour relever ce défi, il a assuré que le système de l’ONU en Tunisie accompagne les partenaires gouvernementaux et de la société civile à travers un programme d’appui à l’équipe pays.

Il a précisé que dans le cadre de la coopération des Nations unies pour la période 2021-2025, l’objectif ambitieux de mettre fin aux inégalités et au VIH en Tunisie d’ici 2030 est inclus comme axe stratégique. Cet objectif s’aligne sur l’Agenda 2030 et les Objectifs de Développement Durable (ODD), soulignant la nécessité d’une approche intégrée et basée sur les droits pour atteindre simultanément la résolution du VIH/SIDA et la réalisation des ODD.

Pour sa part, Ahmed Shehata, représentant de l’Organisation Internationale du Droit du Développement en Tunisie (IDLO Tunisie), a souligné l’effort considérable déployé par de nombreuses organisations de la société civile en collaboration avec des entités gouvernementales pour lutter contre les inégalités dont souffrent les personnes touchées par le VIH/SIDA en Tunisie, notamment en termes d’accès à la justice. Il a précisé que ce partenariat a été axé sur la formation approfondie d’avocats et de magistrats, centrée spécifiquement sur la gestion des procédures judiciaires intentées par des individus touchés par le VIH/SIDA. Cette initiative vise à remédier aux situations où ces personnes ont été injustement confrontées à la stigmatisation et à la discrimination au cours des procédures légales.

Malgré des progrès significatifs réalisés, le faible bilan actuel de la lutte contre le VIH/SIDA en Tunisie met en lumière des inquiétudes quant à la réalisation de l’objectif ambitieux d’éradication de cette épidémie d’ici 2030. L’appel à une action collective et rapide résonne comme une réponse cruciale pour un avenir sans VIH/SIDA en Tunisie, mettant en lumière l’importance d’une approche intégrée fondée sur les droits et soulignant le rôle central des communautés dans cette lutte.

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