La violence à l’école ne semble pas près de s’arrêter. Depuis des années, les attaques tous azimuts contre les enseignants se sont multipliées. Certes, il est déjà arrivé par le passé, précisément avant cette décennie de braise, que la relation entre les enseignants d’un côté et les élèves et leurs parents de l’autre, traverse des épisodes orageux. Mais la crise actuelle est plus longue que d’habitude et manifestement plus dangereuse, surtout, personne ne semble avoir envie, côté décideurs, d’y mettre un terme. De façon non moins choquante et effrayante que l’agression dont le jeune professeur a été victime le lundi 8 novembre au lycée Ibn Rachik d’Ezzhra, le syndicalisme populiste, longtemps soutenu par une majorité des enseignants, a offert le spectacle d’un secteur sombrant collectivement dans le délire le plus dramatique. Voici qu’une frénésie s’installe : on ne veut plus de malheur sans cause punissable. Tandis que s’efface l’acceptation de causes contraires, se répand une recherche éperdue du coupable. Le syndicalisme – et c’est bien trop lui demander – devient l’illusoire recours à toutes les misères d’un secteur sauvagement sacrifié. Résultat : la colère y a donné libre cours à la haine. Haine devenue banalisée contre les enseignants et, au bout du compte, contre les élites ou supposées telles, éternels boucs émissaires en temps de crise et de conspirationnisme débridé. Vraies victimes ou coupables «idéaux», les enseignants ont alors contre eux la plupart des élèves et leurs parents excédés par la spirale de violence dans laquelle s’est enfoncée l’école. Les médias et les réseaux sociaux, en délire, servent de caisse de résonance à cette escalade et jettent de l’huile sur le feu, un peu comme dans les cours de récréation de notre enfance où toute bagarre provoquait l’attroupement d’un «public» criant «encore un coup… encore un coup». Il s’agit de faire appel à l’émotion, à la provocation permanente pour augmenter sa visibilité, susciter le plus de réactions possibles, pour le meilleur mais trop souvent pour le pire. Et cela continue encore et encore… Depuis une décennie, on n’en finit plus de compter les épisodes de ces drames. Le pire n’est jamais moins sûr et il va falloir aux Tunisiens une sacrée dose de sang-froid et de sagesse pour l’éviter. Cette violence n’est pas, dans tous les pays, une nouveauté. Mais en empirant et si nous restons les bras ballants, elle corrompra désormais toute la société. «Le mystère du mal… il n’existe pas deux manières de l’aborder: nous devons nier le mal ou l’assumer tel qu’il se manifeste en nous», avertissait l’écrivain français François Mauriac (1885-1970). Le problème de nos décideurs, dans cette situation, ne se limite pas à l’incitation à un voyeurisme extrêmement malsain. Il participe d’un prosélytisme des plus dangereux. Une sainte frayeur noue leurs langues quand il s’agit d’ouvrir les placards de ce fléau. Ils se disent médusés à «découvrir» l’horreur de ces crimes. Mais nul ne se hasarde à en examiner les raisons, à démontrer les effets. Même le petit jeu d’analyse sémantique auquel se prêtent quelques «responsables» du secteur éducatif apparaît bien dérisoire au regard de la gravité des faits et de leur terrible bilan. Les sciences humaines nous invitent à reconnaître qu’il n’y a pas de profil type de l’écolier violent. Il faut chercher le mal au sein d’un contexte, d’un milieu. L’enfant n’est que le produit d’une série de facteurs croisés : ceux de sa « famille « et plus largement de sa « société «. L’Histoire nous apprend que la violence fleurit dans une société qui n’est pas à l’aise avec elle-même. Aujourd’hui, ce ressentiment existe terriblement. Plus ou moins caché. Plus ou moins latent. Un climat nauséabond s’est dangereusement installé. Il est temps de crever l’abcès. Prévenir, réagir au plus vite pour empêcher que ne s’enclenche un «processus de violence» dans tout le pays. Face à ce grand danger, seuls l’éducation et le développement de l’esprit civique articulé sur les valeurs humaines et les connaissances peuvent faire de l’école le vrai lieu où une société transmet ses valeurs ; et donc, d’abord, le lieu où celles-ci se reflètent.
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