Cela se passe sur une plage du côté de Hammamet : deux dames, l’une allemande, l’autre tunisienne accompagnées par deux enfants en bas âge, se retrouvent à quelques mètres l’une de l’autre. Le petit garçon allemand d’à peine deux ans joue sur la plage…
Il prend une poignée de sable et la jette sur le visage de sa mère. Sa mère lui prend la main et lui dit sur un ton ferme qu’il ne faut pas faire ça. Mais son fils recommence son geste avec l’entêtement des gosses de cet âge-là. Plusieurs fois de suite, elle lui explique qu’il ne faut pas recommencer. Au bout de six ou sept fois, il s’arrête et viens l’entourer de ses bras pour s’excuser.
Plus loin, le gosse tunisien du même âge imite le geste du petit allemand. Vlan ! Sa mère lui donne une gifle qui l’envoie valser à plus d’un mètre. Cris et hurlements… Une scène toute simple, mais qui résume bien les raisons de la violence au sein de nos sociétés et les différences dans les méthodes d’éducation des enfants.
Réactions instinctives
Un psychologue tente une analyse : « les parents tunisiens ne sont absolument pas préparés à éduquer leurs enfants et semblent dépassés par les événements. Ils réagissent de façon instinctive, ce qui se traduit souvent par de la violence contre l’enfant qui d’ailleurs ne comprend même pas pourquoi on le punit, alors qu’il n’a effectué qu’un geste ludique, c’est un jeu pour lui… »
Une violence qui se poursuivra durant des années, avec un pic à l’adolescence, lorsque le jeune homme, ou la jeune fille, vont se rebeller contre l’autorité parentale. D’où l’idée de former le couple à éduquer des enfants avant le mariage, ou en tous cas avant la naissance du premier enfant. « Après tout, on passe bien le permis pour conduire une voiture, alors pourquoi ne pas apprendre à se conduire avec ses enfants », ironise un ancien instituteur…
L’idée n’est pas si absurde que cela, puisque des pays nordiques la pratiquent avec succès… On a d’ailleurs constaté que les enfants qui ont aidé leurs parents à élever leurs frères et sœurs ou ceux qui se sont occupé de leurs petits neveux, s’en sortent beaucoup mieux que ceux qui n’ont jamais fait face à ce problème… À quand donc la première école des parents en Tunisie ?
Autre type de violence : celui exercé par l’homme sur son épouse lorsque le dialogue ne mène nulle part ou quand certaines paroles blessent son ego de mâle oriental. Des chiffres annoncés par la Secrétaire d’État pour la Femme et la famille, Neila Chaâbane, à l’occasion du 13 août, confirment que 47% des femmes tunisiennes sont victimes de violence exercée par leur conjoint (en un seul mot !).
« Là aussi, assure notre psychologue, le couple n’a pas été préparé à une discussion calme où l’on échange les positions respectives. Au contraire, c’est tout de suite les coups et les cris. Le plus grave, c’est que l’enfant qui voit son père tabasser sa mère sera un mari « frappeur » et la petite fille se laissera rosser par son futur époux sans protester… » L’abus de pouvoir de certains parents devient alors monnaie courante avec, en plus de l’intimidation verbale, des menaces voilées, des insultes et injures, de l’humiliation pour se terminer avec l’agression physique…
Conducteurs agressifs
Mais la violence au sein de notre société s’exprime aussi sur les routes avec les excès de vitesse qui mettent en danger la vie d’autrui, sans parler des feux rouges grillés, des« Stops » ignorés, sans compter les clignotants oubliés et qui semblent devenir une simple option… D’où ces chiffres incroyables du nombre d’accidents mortels et qui font le désespoir de nos décideurs depuis de longues années déjà.
De nombreux témoignages confirment cette tendance, comme celui de cette dame qui se plaint du « comportement irresponsable de tous les chauffeurs, sans distinction d’âge ou de condition ». Un travailleur à l’étranger actuellement en vacances à Tunis confirme : « si les Tunisiens vont conduire en France, ils perdraient leur permis en une seule journée. »
Mais la remarque la plus réaliste vient de ce taximan : « avant la Révolution, la peur du policier freinait cette tendance à l’anarchie. Depuis, personne ne respecte plus rien. Souvent les automobilistes qui grillent un feu s’enfuient à toute vitesse, risquant d’ailleurs de provoquer un accident grave ! »
On a beaucoup évoqué la violence des images télé et celle des jeux vidéo et c’est un vrai casse tête pour tous les éducateurs. En effet, un instituteur a constaté que « les enfants d’aujourd’hui ont tendance à confondre le réel et le virtuel, au point que quand ils se battent entre eux, ils ne savent pas rester mesurés et vont, tout suite, porter des coups dans des zones dangereuses, comme le visage ou le bas-ventre. »
Et puis, il y a ces pitbulls lâchés sans muselière et sans laisse, qui se vendent chaque dimanche du côté du souk Moncef Bey à des centaines de dinars. Une dame, dont le jeune voisin élève ce type de chien s’insurge « aucune autorité ne semble consciente du danger que représentent ces monstres dressés pour tuer. Faut-il attendre, comme cela se passe régulièrement dans les banlieues parisiennes, la mort d’enfants ou de personnes du troisième âge pour réagir ? »
Pour un sociologue « l’usage de la force peut être légitimé lorsque notre vie ou notre sécurité est en danger immédiat. La légitime défense est invoquée quand une victime de violences se défend par la force. Un groupe humain, une ethnie, une classe sociale ou les membres d’une religion peut aussi agir violemment lorsqu’une idéologie, une foi ou une autorité le justifie. »
Et cela a des conséquences inattendues, parfois catastrophiques. Dans les pays présentant un niveau de violence élevé, la croissance économique se ralentit, la sécurité se dégrade et le développement social est freiné. Les régimes autoritaires ont cette fâcheuse tendance à terroriser les citoyens afin de les soumettre. Ce qui est sûr, c’est que la violence commence dès que l’on ne respecte plus la dignité humaine…
Les hommes ont même inventé la violence froide, par opposition à la violence agressive. Elle consiste à contraindre autrui à entrer et demeurer dans une situation de souffrance comme la séquestration ou la déportation. La violence peut aussi être retournée contre soi-même par une personne qui décide de ne plus accepter des tâches qui l’écrasent. Une situation qui s’accompagne souvent par l’automutilation…
Notre psychologue tient à apporter une précision importante : « il faut se rappeler que la violence est en nous. C’est cet instinct primitif qui découle de la simple opportunité de prédation, qu’il s’agisse de prédation matérielle, telle que l’appropriation de biens, ou narcissique, comme l’appropriation du corps d’autrui. »
Une dernière information qui redonne un peu d’espoir en ces temps agités : alors que chez nous, et partout dans le monde, les prisons sont bondées, la Suède vient de fermer ses prisons, faute de prisonniers ! C’est le fruit d’une politique carcérale où l’on encourage la réinsertion des détenus à travers des prisons ouvertes, sans murs ni barreaux…
À quand des prisons vides chez nous aussi ?
Yasser Maârouf