Par Khalil Zamiti
Depuis Cro-Magnon, partout et de mille façons psychiques, physiques ou symboliques, la violence faite aux femmes prospère sur tous les rivages sans changer de visage. Aujourd’hui, en Tunisie, le bâton islamique occupe les territoires évacués par le gourdin préhistorique. La Révolution libyenne offre aux violeurs armés l’occasion d’une aubaine rêvée. Ici, la société sans État et le silence imposé aux nombreuses femmes détruites, humiliées, bafouées assurent l’impunité à la bestialité.
Au pays de Ghandi, le viol collectif de la jeune fille massacrée dans un moyen de transport public porte à la connaissance de la terre entière la rage de la bande sauvage. À la place Tahrir, l’ambiance révolutionnaire convole en justes noces avec l’horreur du viol à plusieurs. Par la grâce du conjoint, la France de Voltaire convie une femme à quitter la vie tous les deux jours et demi. Mais outre les agressions spectaculaires et médiatisées, la muflerie déployée par le masculin envers le féminin a partie liée avec le quotidien.
Ce 19 décembre, dans une grande surface, un client demande un morceau de fromage blanc.
Cependant, hautain, discourtois, il ne parle pas, il aboie. La vendeuse, piquée au vif, réprime l’expression de sa vexation. Une fois l’impoli parti, je m’adresse à la jeune fille :
« Mais pourquoi te parle-t-il sur ce ton-là ? »
« Vous n’avez rien vu, ils demandent normalement ce qu’ils veulent »
Deux jours après, je passe à ma banque située juste à côté de cette grande surface. Dans la file, un homme, irrité, reproche à la caissière de parler à une cliente sans interrompre son activité : « Nous sommes là, debout, et tu te permets de papoter ! » Une fois le goujat sorti, et mon tour arrivé, je dis à Sonia :
« Même s’il est pressé il pouvait bien faire sa remarque sans crier »
« Inutile de chercher à les éduquer. Ils sont étrangers à la galanterie. Les Arabes sont comme ça, infréquentables ».
Parmi les tenants du sens commun, l’expression « travail d’Arabes désigne l’ouvrage bâclé tel un moteur de voiture mal réparé. À l’extrême opposé de ce jugement catégorique, maints censés savoir chantent la gloire des Arabes « meilleure communauté surgie sur terre ». Opposées de manière frontale, ces deux représentations d’un ensemble supputé, donnent à voir, l’une tout le bien, et l’autre tout le mal ancestral.
À propos du profil violeur dont il fut question tout à l’heure, les soi-disant « Arabes » seraient-ils à classer parmi les pires ou les meilleurs ? La réponse à l’interrogation, quelque peu simplette, passe par l’éternel retour à la recherche concrète.
Est-ce la guerre des sexes
A Tegma et à Rouji, villages isolés des monts Khmirs, le terme « kifah » désigne l’activité sexuelle. Il signifie, aussi, la guerre. Pour l’étranger à ces contrées forestières, la guerre des sexes et la guerre tout court, auraient donc à voir l’une avec l’autre. Quelle est donc la raison de cette assimilation ? Relayé par l’un ou l’autre de ses cousins, une trentaine issue du même lignage clanique. B. saisit son gourdin. Il esquisse un cercle sur le sable, décrit l’occupation nocturne du gourbi et dit : « Le soleil ne doit pas se lever sur l’homme durant son kifah. Cela est haram dans la religion de Mohamed.
Dieu ne bénit ni, celui qui regarde ni celui qui est regardé… Le kifah n’advient que de nuit. Mais la nuit, dans le gourbi, nous sommes tous entassés les uns sur les autres. Nous n’avons pas une maison, comme en ville, pour que l’homme s’isole avec sa femme dans une pièce. Le gourbi est la demeure du pauvre. Les enfants, garçons et filles, grands et petits, dorment groupés dans un même endroit… Eux, se mettent à une extrémité du gourbi et l’homme dort à l’autre… Tant que les enfants restent éveillés, l’homme et la femme ne s’approchent pas. Il y a la pudeur. Ils attendent tous les deux le sommeil des enfants.
Ensuite l’homme se rapproche sans bruit, comme un voleur qui connaît bien l’endroit, ikafeh, vite, en évitant de faire le moindre bruit qui réveillerait les enfants, puis il se retire sans bruit et sort se laver dehors. Ce n’est pas la femme que l’homme combat mais le risque de réveiller les enfants et la peur qu’ils ne soient pas vraiment endormis… ».
Le kifah, bref, mutique, relie la sexualité à l’espace habité lui-même articulé à la structure économique de la société. Pareille complexité inflige un démenti au postulat d’une, démentie au postulat d’une agressivité abstraite, sui-generis et décrochée de ses déterminations concrètes. L’étreinte, l’espace domestique et la société globale entretiennent, entre eux, une relation négatrice d’une violence perçue là où elle n’est pas.
Les Arabes n’existent pas
Dans ces conditions, le machisme et le patriarcat n’expliquent rien, ils sont eux-mêmes à expliquer. Produits sociaux, eux-mêmes deviennent producteurs d’effets majeurs. Ils relèvent de l’existence et, à ce titre, ils n’ont rien à voir avec une espèce de substance.
Ainsi, à la jonction de la crise économique et de la bipolarisation idéologique, la « rue tunisienne » redouble de férocité depuis le tsunami du 14 janvier. C’est pourquoi Juifs et Arabes ne sont, ni élus, ni déchus, ni fichus. Toutes mes excuses à Sonia, mais ses compatriotes ne sont ni plus, ni moins fréquentables que les autres ensembles humains. Il n’y a de « nature » ni berbère, ni chinoise, ni suédoise, ni anglaise, ni japonaise, ni portugaise. Car les systèmes culturels et leur inéluctable transformation, tracent la vie de l’unique loi.
Une fois écartée, la notion d’une essence invariante, une leçon de fraternité plane sur les conflits les plus exacerbés. Par son élévation, le pardon surplombe toute autre considération et Mandela voulait dire cela.
L’Allemagne n’est pas le nazisme et l’Amérique n’est pas Hiroshima.
Interviewer les jeunes et les grands parents au sujet de telles situations, projetterait un éclairage édifiant sur la perpétuelle transformation.
Percevoir les Japonais à travers le prisme d’amours originaux ou d’arts martiaux, voue l’analyse à tomber dans l’eau. Coller une étiquette à la personne, le groupe ou la société, fige un processus et occulte l’historicité. Certains Japonais sont fréquentables à vous rendre jaloux et d’autres ne le sont pas du tout.
K.Z.