Depuis le début de ce mois, la scène politique tunisienne est en émoi : Nidaa Tounes, le parti majoritaire à l’Assemblée des Représentants du Peuple, celui du président de la République et du président de l’ARP, traverse une grave crise identitaire. D’où vient donc ce parti ? Qui rassemble-t-il ? Quel est son programme ? Faisons un bref aperçu historique…
Le 17 février 2011, Béji Caïd Essebsi, Le disciple de Bouguiba – maintes fois ministre sous le régime du Combattant suprême (Intérieur, Défense, Délégué auprès du Premier ministre et Affaires étrangères), puis président de l’Assemblée nationale jusqu’en 1991- après une longue “traversée du désert” où il avait repris son activité d’avocat, revenait “aux affaires” comme Premier ministre du troisième gouvernement post-“Révolution de la Dignité”.
A ce titre, il organisait de main de maître, les élections législatives d’octobre 2011, qui devaient donner la majorité aux islamistes d’Ennahdha qui s’installait au pouvoir et BCE démissionnait. Quelques mois plus tard, il lançait le 20 avril 2012 un “Appel au Peuple” et créait peu après, le 27 juillet 2012, le parti Nidaa Tounes, qu’il déclarait “ouvert à toutes les sensibilités”, ce qui en faisait, selon le titre d’un article de la regrettée Azza Turki : “Un objet politique difficilement identifiable”, dans le N°1425 de “Réalités”, mais elle ajoutait “Nidaa Tounes est une machine politique, conçue pour gagner”, Prédiction d’une grande journaliste…
Rapidement, BCE “ratisse large”, accueillant dans les rangs de son parti une majorité de démocrates, de citoyens déçus par le régime de la Troïka, des gauchistes, des bourguibistes du PSD originel et même d’anciens membres du RCD n’ayant pas commis de crimes ni de délits… Des réunions se tiennent dans les régions, souvent dérangées par les nervis des Ligues de protection de la Révolution. On retiendra surtout l’attaque contre BCE en réunion à Djerba qui n’a dû son salut qu’à l’intervention de la police, et le lynchage de Lotfi Negadh, le coordinateur de NT à Tataouine.
Le parti grossit rapidement, créé par 12 membres fondateurs, il compte bientôt des dizaines de milliers d’adhérents sur tout le territoire, avec 27 circonscriptions dirigées par des “coordinateurs”, il se dote d’un Bureau politique et d’un Bureau exécutif provisoires. Un effort d’adhésion colossal est fait dans les provinces et c’est ainsi que Nidaa Tounes remporte haut la main les élections législatives d’Octobre 2014 et la présidentielle du 20 Décembre 2014.
C’est après cette double victoire et la formation (difficile) du gouvernement de Habib Essid que la situation va se dégrader à Nidaa Tounes. De nombreux “ralliés” font au parti “le reproche de les avoir trahis” car ils pensaient que BCE et les siens “victorieux” allaient se conduire comme le firent les islamistes arrivés au pouvoir en 2011 – « Vae victis » (malheur aux vaincus) – ce qui n’a jamais fait partie du programme de Si El Béji et ne correspond pas à sa façon de gouverner. Des tendances vont se manifester, des clans vont se créer alors que de nombreuses questions se posaient de la part de partisans dépités et de trop “d’ego non récompensés” : Pourquoi Ridha Belhaj, Mohsen Marzouk, Rafaa Ben Achour et Moez Sinaoui sont-ils au Palais de Carthage, conseillers de BCE, et pas moi ? Pourquoi n’a-t-on pas choisi que des “nidaïstes” pour être Chef du gouvernement ou ministre (seulement 9 sur 41) ? Pourquoi Hafedh Caïd Essebsi a-t-il une position prédominante auprès de son père ? Ce à quoi Si El Béji a répondu : “Qu’a-t-il obtenu de moi, à part le nom ; il a 52 ans et c’est lui qui a choisi d’adhérer à notre parti, je ne le lui ai jamais demandé” (déclaration faite à Nessma TV en réponse à Mériem Belkadhi, et à mon tour je pose une question : a-t-on jamais reproché à un directeur d’hôtel d’avoir son fils dans son staff ? Et d’ailleurs BCE a conclu : “ Au congrès du parti, il y aura un vote et les choses se tasseront”.
En tout cas, les réseaux sociaux et les plateaux de TV ont été le théâtre de discussions, de dénigrements de la part de diverses factions de NT, qui a risqué “l’implosion” ou l’explosion. Ce qui serait très grave, car le bloc parlementaire a risqué de se scinder, ce qui risquerait d’entamer la majorité dont jouit le parti à l’ARP et nous faire retomber dans la situation des trois années passées.
Enfin, vendredi 13 mars s’est tenue une conférence de presse de l’Instance constitutive de Nidaa Tounes, le Vice-président Mohamed Ennaceur a appelé les dissidents à la raison et a évoqué l’appel lancé par Hafedh Caïd Essebsi pour la tenue d’un Conseil national samedi 14 mars, en précisant que les réunions du parti organisées en dehors de l’accord de l’Instance constitutive sont illégales. La réunion a eu lieu quand même.
Le navire “Mouvance du peuple des citoyens” de Moncef Marzouki “a bien des difficultés avant de “prendre la mer” quatre mini-partis l’ont quitté. Il s’agit du parti de la Réforme et du développement (Mohamed Goumani), du Mouvement wafa (Abderraouf Ayadi), du Mouvement national de la justice et du développement (Mounir Rouissi) et du Mouvement du 17 décembre et du développement (Faouzi Saïdi). Adnane Manser et Moncef Marzouki leur ont répondu en leur reprochant « d’avoir refusé de faire leur autocritique et d’avoir cru qu’en adhérant à la Mouvance, ils allaient être ressuscités alors qu’ils n’existent plus ! Ce n’est pas une grande perte dans le paysage politique, et la Tunisie s’en remettra facilement ! »
Le feuilleton, à l’ARP, de la direction de la Commission des Finances est enfin terminé, grâce à l’intervention de Mohamed Ennaceur. Un roulement a été établi : Mongi Rahoui dirigera la Commission jusqu’au 15 octobre 2015, date à laquelle Iyad Dahmani prendra la relève pour une année, et ainsi de suite jusqu’à la fin de la législature. Une fois de plus, c’est la politique du consensus qui a permis de régler un problème qui menaçait de s’envenimer.
Souhaitons que cette même politique de consensus permette de régler les problèmes qui menacent l’existence de Nidaa Tounes, et éventuellement la cohésion du gouvernement.