Interviewée le 2 janvier, Chadlia, employée de maison, édifie ses réflexions autour de cette formulation : «Chaque année dit à la suivante sois plus difficile que moi. Ces gens ne méritent que ça ». Elle étaye ce verdict sans appel par l’ampleur des pratiques brutales, irrégulières et immorales. Un contraste lie et sépare ce réquisitoire des propos mielleux, et parfois même visqueux, déversés à longueur de journée par des radios privées. A tous, 2023 apportera, si Dieu veut, santé, succès, richesse, bonheur et joie.
Hélas, pour tout cela, il faudrait substituer une baguette magique à la faune politique. Pour l’instant, pessimistes et optimistes semblent exceller dans l’art d’escamoter la complexité. Celle-ci agrège au moins deux aspects entremêlés. Le premier a partie liée avec la richesse et la pauvreté. A ce propos, deux bénéficiaires de retraites élevées commentent les attitudes optimistes et pessimistes auparavant mentionnées : « Moi et ma femme avions assez d’argent pour vivre sans restrictions, mais j’ai remarqué l’angoisse des petits retraités. Les deux jours de retard à la banque suffisaient à couvrir les visages d’anxiété ». Le second volet de la complexité ajoute, à la disparité pécuniaire, sa calamité, car le réchauffement climatique menace l’ensemble de l’humanité.
En effet, les efforts déployés pour limiter l’émission de gaz à effet de serre avancent au rythme d’une limace à l’instant même où les pratiques mortifères et pollueuses de l’atmosphère, filent à la vitesse grand V d’un lièvre loupé par le chasseur peu expérimenté. Dès les années soixante, les travaux de l’éminent ethnologue et préhistorien André Leroi-Gourhan incriminaient la destruction du milieu et de l’homme par l’homme. De nos jours, le président algérien, parmi d’autres, fustige les dépenses militaires investies au mépris de la misère populaire. « Cet argent serait mieux placé et plus utile s’il allait au développement ».
Pendant ce temps, sur les champs-Elysées, minuit invite les amoureux à s’embrasser, au grand scandale des enturbannés. Les Talibans d’Afghanistan ramènent et enferment les femmes à la maison, mais que faire si, de Kaboul à Paris, trône la testostérone.
« Faites l’amour, ne faites pas la guerre », déclarait mai 68. Les amoureux, par définition hors-jeu banal, surplombent les dédales du monde social, souvent trivial. Avec ou sans jour de l’an, ils perpétuent la tradition immémoriale avec l’échange de billets du genre : « Sur l’océan des sentiments, une immense vague d’amour me porte vers toi nuit et jour ». Indifférents à nos visions terre à terre, ces passionnés préfèrent savourer ces vers de Baudelaire : « Derrière les ennuis et les vastes chagrins / qui chargent de leur poids l’existence brumeuse / heureux celui qui peut d’une aile vigoureuse / s’élancer vers les champs lumineux et sereins ».
Hélas, Verlaine ajoute sa rengaine apte à désillusionner les envoûtés : « Sachons que tout bonheur repose sur le sable ».
Encore pire, les psychanalystes, ces rabat-joie, suspectent le désir. A travers une lecture critique de ses confrères Moustapha Safouan écrit : « Aimer équivaut à être aimé, il n’y a, en dernière analyse, que le désir d’être aimé… On se demande si ce qui s’appelle “ faire l’amour” ne ferait pas mieux de s’appeler, si cette théorie était juste, “ faire la haine ”.» Les violences et les séparations auraient-elles à voir avec ces drôles de cogitations ?
« La violence : sédiment d’une longue inaction. Etincelle compacte qui jaillit de l’inertie », écrit Han Suyin.
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