Visite de Rached Ghannouchi en Algérie, les dessous du tapis rouge

La visite de Rached Ghannouchi en Algérie, effectuée le 24 août 2014, est une façon de dire que ce pays n’est pas contre le fait de coopérer avec les islamistes si ceux-ci arrivent au pouvoir cette fois-ci pour une longue durée dans le cadre d’une législature normale. Rached Ghannouchi connaît bien les Algériens. L’Algérie, c’est le pays où il s’était réfugié peu après avoir été sauvé de l’échafaud par Zine El Abidine Ben Ali. C’est la terre de ses amis du FIS qui ont été déclarés hors-la-loi. De persona non grata, Ghannouchi devient l’homme que le voisin algérien  lui ouvre les bras et l’accueille tel un chef d’État.

Le chef du mouvement Ennahdha, Rached Ghannouchi, a été reçu, dimanche 24 août à Alger, par le président algérien, Abdelaziz Bouteflika. Selon Zied Ladhari, le porte-parole du parti, cette visite de vingt-quatre heures a pour objectif de renforcer les concertations autour des moyens de surmonter les difficultés que connaît la région à la lumière de la situation en Libye. Selon l’agence de presse algérienne APS, Ghannouchi a souligné à l’issue de sa rencontre avec le président Bouteflika que «la condamnation de l’intervention étrangère visant à régler la crise politique et sécuritaire que traverse la région a constitué un point de convergence entre les deux parties, lesquelles ont réitéré leur volonté de résoudre les problèmes de la région en se basant sur les principes de concertation et de dialogue».

La rencontre entre Ghannouchi et Bouteflika s’est déroulée en présence du président de l’Assemblée populaire algérienne (APN), Mohamed Larbi OuldKhelifa et du Premier ministre algérien, Abdelmalek Sellal. Ghannouchi était accompagné du président du Conseil de la Choura du parti Ennahdha Fethi Ayadi, du Conseiller politique du parti, Lotfi Zitoun, du responsable des relations internationales, Rafik Abdessalem, et du membre dirigeant du parti, Ameur Larayedh. D’autres entretiens ont suivi cette rencontre notamment avec le Premier ministre et le président de l’ANP qui ont offert un déjeuner en l’honneur de la délégation islamiste.

Petit détail important : le Petit Journal  de la chaine française privée Canal + a montré que les images de la rencontre entre Abdelaziz Bouteflika et Rached Ghannouchi ont été truquées. Selon le site Mondafrique, cela faisait plus de quarante jours que Bouteflika n’était pas réapparu en public.

Rached Ghannouchi a été accueilli en grande pompe par les hauts responsables de l’État algérien. À ce titre, le protocole qui lui a été consacré est réservé aux chefs d’État. Or le chef du parti Ennahdha n’en est pas un. Depuis la chute de Ben Ali, Ghannouchi tente de conforter son rôle au sein de l’espace arabe notamment via le concours du Qatar et de sa chaine Al Jazeera et de son Union internationale des Oulémas musulmans

Ennahdha capable de jouer un rôle en Libye ? 

Le mouvement Ennahdha a appelé, dans un communiqué publié le dimanche 27 juillet 2014 et signé par son président Rached Ghannouchi, les « frères libyens » à un cessez-le-feu à l’occasion de l’Aïd El Fitr.

Dans ce document, le mouvement expprime sa préoccupation face à ce qui se passe en Libye, avec l’intensification du conflit armé, qui est «une façon dangereuse de résoudre les différends entre frères». Ennahdha appelle donc à «faire la paix, d’abandonner le langage des armes et d’économiser le sang […] préserver les acquis du pays, sa stabilité et son unité des dangers de la discorde intérieure et de l’interventionnisme extérieur».

En Libye, Ennahdha tente de faire entendre sa voix en essayant de réduire les différends entre les islamistes prônant le califat et les pro-général Hafter. Dans cette perspective, Ennahdha œuvre à organiser un congrès national de dialogue, en Libye ou en Tunisie, avec la coordination des autorités officielles et civiles des deux pays. Le parti veut donner l’impression d’agir, non pas en tant que mouvement islamiste mais plutôt en tant que médiateur neutre œuvrant pour la matérialisation de l’initiative prise par l’ONU afin de calmer les esprits et éviter une intervention militaire étrangère.

À la recherche d’une respectabilité

Si les différentes fractions en Libye continuent à s’entretuer, il est fort plausible que l’armée égyptienne intervienne notamment à Benghazi fief des islamistes.Or l’Algérie semble s’inscrire contre cette intervention égyptienne. Selon certains observateurs, la visite de Ghannouchi s’inscrit dans le souhait de l’Algérie de coordonner son action avec la Tunisie en matière de lutte contre le terrorisme.

Aussi, l’Algérie illustre son adaptation et se montre prête à collaborer avec son voisin tunisien quel que soit le parti qui sera gagnant aux prochaines élections législatives et présidentielles, notamment sur le plan économique en activant certains projets économiques frontaliers demeurant en standby.  Le point de vue algérien semble se focaliser sur la nécessaire implication de la Tunisie dans la captation et la saisie des armes en provenance de la Libye vers l’Algérie. Cet engagement attendu de la Tunisie du côté algérien doit se généraliser à celui de la lutte contre l’informel.

L’économie informelle a pris en effet des proportions démesurées. Il importe de mentionner que la Tunisie partage pas moins de 1000 km de frontière avec son voisin algérien. Elle a constamment cherché à entretenir de bonnes relations de voisinage en dépit des différentes tensions qui ont secoués les rapports entre les deux pays.

L’Algérie consensuelle

Depuis la chute de Ben Ali, l’Algérie est davantage un acteur consensuel auprès des acteurs politiques tunisiens. En témoigne les visites tour à tour de Béji Caïd Essebsi et de Rached Ghannouchi. Ces deux chefs de file politique ont annoncé leur feuille de route pour faire sortir le pays de la crise. Cette écoute algérienne traduit une véritable influence et un important soutien de l’Algérie dans le règlement de la crise politique de la Tunisie.

Ces rencontres réunissant les deux gourous de la politique tunisienne ont été décisifs dans la définition d’une trajectoire politique pour le pays qui privilégie les urnes. En d’autres termes, l’ensemble des compromis trouvés à ce moment-là avaient constitué un point de départ pour la pacification du jeu politique après une vague d’assassinats et de violences meurtrières.

Pourtant, même si le puissant voisin algérien joue l’accalmie entre les principaux acteurs de la scène politique tunisienne, il n’est pas à l’abri lui-même des visées islamistes et des projets de déstabilisation.

Mohamed Ali Elhaou 

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