Voitures hybrides : L’alternative gagnante

La voiture hybride embarque une technologie révolutionnaire qui a pu allier les moteurs thermiques à l’énergie électrique. En Tunisie, ce concept est peu connu, d’autant plus que la confusion entre l’électrique et l’hybride est courante. Toutefois, il gagne au fil des années du terrain. Les avantages sont, en effet, nombreux, aussi bien pour le consommateur, les concessionnaires que l’État. Pourtant, à l’exemple des voitures classiques, les véhicules hybrides font face à un dysfonctionnement structurel lié, notamment, à une sur-taxation. Qui serait mieux placé que le spécialiste de l’hybride pour parler de l’hybride ? Présent depuis 40 ans en Tunisie, le Groupe BSB, concessionnaire officiel de la marque Toyota, commercialise aujourd’hui deux principaux modèles hybrides. Le PDG du Groupe, Moez Belkhiria, s’est confié à “Réalités Magazine” pour vulgariser cette technologie. Il faut dire que le chemin était long, mais le concessionnaire a réussi, aujourd’hui, à se hisser pour devenir l’un des poids lourds du secteur automobile en Tunisie. C’était l’occasion de revenir, tout d’abord, sur la crise subie par le secteur. Moez Belkhiria nous a livré, par la suite,  les secrets de la voiture hybride. Savez-vous qu’en conduisant ce type de véhicules à moins de 60 km/h, la consommation de carburant est nulle ? Embarquement immédiat, avec Moez Belkhiria, à la découverte d’une technologie prometteuse. Interview.

 Avant de commencer, Toyota fête ses 40 ans en Tunisie. Que pouvez-vous nous dire à cette occasion ?
Nous sommes officiellement en Tunisie depuis 40 ans. Le premier contrat avec Toyota a été signé en 1980 avec Béchir Salem Belkhiria, fondateur du groupe BSB. C’est lui qui a entrepris les premiers contacts avec Toyota dans les années 70. En 40 ans, Toyota a évolué en plusieurs étapes. Durant les années 80, son arrivée sur le marché tunisien n’était pas envisageable, étant donné que la communauté européenne constituait le principal partenaire économique de la Tunisie, essentiellement la France.

À quelle date peut-on parler d’un véritable démarrage ?
À partir de 1987, les importations ont commencé, mais seuls les véhicules utilitaires étaient concernés. Exit, donc les voitures pour les particuliers. Ainsi, Toyota n’a pas bénéficié des mêmes opportunités que celles des autres constructeurs. Le véritable démarrage a eu lieu en 2013. Toyota a acquis le droit de vendre les voitures particulières. Aujourd’hui, la marque figure parmi les premiers concessionnaires en Tunisie avec des ventes en hausse.

Entrons dans le vif du sujet : le secteur de l’automobile subit la crise et on parle de plusieurs causes : sur-taxation, quotas à l’importation… Qu’en pensez-vous ? Faut-il libéraliser les importations ?
Il faut les libéraliser. Il est inconcevable que le secteur automobile soit soumis à un système de quotas. La Tunisie est le seul pays qui définit le nombre de voitures arrivant sur son marché à travers les concessionnaires. C’est inacceptable. Les décideurs affirment, de leur côté, qu’ils coordonnent avec les importateurs et que ce sont ces derniers qui définissent le volume pour, ensuite, se le partager. A l’ère de Ben Ali, l’État fixait les quotas puis il les répartissait entre les concessionnaires. Ensuite, c’est le Directeur général du commerce extérieur au sein du ministère du Commerce qui annonce les quotas. C’est inconcevable. La Tunisie est le seul pays où les importations sont régulées par l’Etat. Cela n’a pas de sens. De ce fait, on ne peut parler de concurrence loyale où la qualité des services et des produits oriente le comportement et le choix des consommateurs.

Que faire pour faire baisser la facture aussi bien pour les concessionnaires que pour les citoyens ?
Il existe des domaines où l’État peut intervenir. Mais d’autres, ce n’est pas possible. Le cours du dinar sur le marché des changes s’inscrit dans la seconde optique. Durant les 10 dernières années, la dévaluation du dinar a eu un énorme impact. Le ratio est passé de 1,5 dinar pour 1 euro à près de 3.2 dinars pour 1 euro. Une voiture qui coûtait 8000 euros valait 20 000 TND en Tunisie. Aujourd’hui, la même voiture coûte plus de 30 000 dinars.

Dans quelle mesure l’État peut donc intervenir ?
Il s’agit de la taxation. La Tunisie est le pays qui taxe le plus les voitures. Il y a l’exemple de la voiture populaire. C’est le même modèle, en fait, qu’une voiture “ordinaire”. La populaire est vendue avec une TVA de 7%. Son prix atteint donc les 30 000 TND. La même voiture, avec la même carrosserie, la même boîte de vitesses, la même motorisation et les mêmes spécificités, est vendue à 45 000 ou 50 000 dinars.

Comment expliquer cette tendance ?
La raison est simple : l’une est vendue à une TVA de 7% et l’autre est vendue avec 20% de droit de consommation, 19% de TVA, 3% RPD et autres. Au final, on obtient une taxation de 40%. Autrement dit, près de la moitié du prix du véhicule provient de la taxation, et c’est le client final qui paie par la suite. La marge bénéficiaire des concessionnaires est située entre 7 et 10% par voiture. Tout le reste va à l’État. Il existe deux solutions qui permettront de faire baisser les prix. Tout d’abord, figure la libéralisation du marché qui permettra à la concurrence de jouer son rôle. Le concessionnaire peut ainsi négocier avec le constructeur sur la base du volume de voitures qu’il compte importer. De cette façon, il pourra négocier le prix. Par conséquent, il pourra profiter d’une baisse allant jusqu’à 10%. Et qui dit baisse des prix à l’achat, dit aussi une baisse de sorties en devises.

Dans le cadre du PLF 2021, des députés ont proposé d’instaurer un avantage fiscal de 25% pour l’acquisition du premier véhicule par un citoyen : est-ce une bonne mesure ?
C’en n’est pas une. Les TRE bénéficient déjà d’un avantage fiscal sur l’importation de véhicules. Si on veut réellement accorder un avantage fiscal, il faut agir en termes de baisse de taxation. Les concessionnaires importent la voiture, tout en assurant le SAV et la garantie. Si on souhaite permettre au consommateur d’acheter une voiture, il faut baisser les taxes et laisser le concessionnaire importer la voiture. Tout le monde est gagnant dans ce cas. Acheter une voiture chez un concessionnaire n’est pas la même chose que d’acheter une voiture d’occasion âgée de 3 ans et plus, sans garantie de qualité. Dans ce cas, surtout si la voiture est destinée au marché européen, il sera difficile de trouver certaines pièces de rechange lors d’éventuelles réparations.

Votre engagement pour la promotion des voitures hybrides ne date pas d’aujourd’hui. Il y a un an, vous avez déjà appelé à faciliter l’accès à ces voitures. Compte tenu de la crise qui secoue actuellement le secteur automobile, peut-on dire que rien n’a changé depuis ?
Il n’y a pas eu de changements. En 2018, l’État a voulu encourager les voitures écologiques à travers une baisse de 30% des taxes. Les voitures hybrides, par définition, possèdent un moteur plus puissant que celui des voitures non hybrides. A titre d’exemple, la RAV4 hybride possède un moteur essence de 2,5 L. La RAV4 non hybride, pour sa part, possède un moteur de 2L. Or, en Tunisie, la taxation est appliquée selon la puissance du moteur. Pour un modèle de 2,5 L, la taxe versée atteint 130%, soit le plafond. Pour les 2 L, on paie 90%. Si on soustrait les 30%, on obtient une taxe à 100%. En fin de compte, la voiture hybride sera toujours plus taxée, mais il s’agit, néanmoins, d’un premier pas encourageant. Les Tunisiens ont beaucoup apprécié la voiture hybride, car elle est économique et écologique. Toutefois, il faut améliorer les avantages pratiqués pour l’hybride et l’électrique, afin d’encourager le Tunisien à en acheter. Cela présente, aussi, un véritable intérêt pour le pays surtout si on regarde les prix de l’essence, le montant des subventions de l’énergie et leur impact économique. Par rapport à des pays comme le Maroc, la Tunisie est en retard sur ce plan. En effet, le Maroc taxe l’hybride à 2,5% contre près de 50% en Tunisie.

Que faut-il faire, dans ce cas, pour encourager l’achat de voitures hybrides sachant que les voitures classiques sont déjà difficiles d’accès ?
Il faut baisser la taxation. Il s’agit, en effet, du seul moyen de rendre la voiture accessible pour les citoyens. Nous sommes le pays qui taxe le plus les voitures. Le dinar poursuit sa chute sur le marché des changes. De ce fait, la solution consiste à baisser les taxes.

Toyota détient un savoir-faire indéniable dans la conception de ces véhicules. Quels sont les modèles phares ?
Toyota est le premier constructeur du monde à avoir commercialisé la voiture hybride et ce depuis plus de 20 ans. Plus de 20 millions de véhicules de ce type sont en circulation dans le monde. 90% des modèles de voitures Toyota sont déclinés en version hybride et en version non hybride. En Tunisie, deux modèles hybrides ont été introduits. Il s’agit de la RAV4 et de la Corolla Berlin. Nous allons élargir la gamme. D’ici l’année prochaine, nous proposerons environ 5 gammes. Seulement, le problème de taxe persiste. En effet, pour 2021, nous envisagerons d’importer la Toyota Yaris en Tunisie. C’est le plus petit modèle du constructeur. La version normale de 1 L coûterait 50 000 dinars. Le modèle hybride de 1,5 L coûterait, pour sa part, entre 70 000 et 75 000 TND. Il n’est donc pas vendable.

Donc, si on résume bien, aucune initiative en faveur de la promotion des voitures hybrides n’a été proposée dans le cadre du PLF 2021 ?
Effectivement, il n’y en a pas, sachant que la loi de Finances 2020 ne comprenait aucune mesure en faveur de l’hybride. Pourtant, la Chambre syndicale des concessionnaires a appelé à prendre des initiatives relatives, notamment, à la baisse des taxes. Si cette baisse est pratiquée, non seulement le consommateur est gagnant, mais aussi l’État. Malheureusement, les responsables au sein du ministère des Finances réfléchissent à court terme. “Si je baisse la taxation sur la voiture hybride, quelle sera la perte en termes de recettes fiscales ?”, c’est ainsi qu’ils raisonnent. Ce qu’ils ne prennent pas en compte cependant, ce sont les retombées futures de cette baisse des taxes, notamment en termes d’économie d’énergie. Celle-ci va entraîner la baisse des subventions à moyen et à court termes.

Peut-on parler d’un manque de volonté des pouvoirs publics pour la promotion de ce type de voitures ?
Je dirais plutôt qu’il s’agit d’un manque de courage. L’État, à travers la loi de Finances, veut couvrir ses dépenses. S’il baisse la taxe sur les voitures, il s’agirait, selon lui, d’une baisse des recettes et il penserait qu’il serait incapable d’honorer ses dépenses. De ce fait, il préfère conserver ses recettes du jour. Or, si une réelle stratégie était mise en place sur le moyen et le long termes, on aurait pris des décisions différentes qui s’inscrivent davantage dans l’intérêt du pays.

Les retombées positives de la technologie hybride sont indiscutables sur les plans écologique et économique. Qu’en est-il ?
Les avantages sont, tout d’abord, observables sur le plan économique. Il faut savoir que 80% des voitures sont concentrées dans les grandes villes. Et qui dit grandes villes, dit embouteillages. Une voiture hybride qui roule à 60 km/h dans les embouteillages ne consomme pas de carburant. Elle fonctionne grâce au moteur électrique. Celui-ci est alimenté par une batterie. Celle-ci est rechargée par le freinage de la voiture. En d’autres termes, la consommation de carburant est nulle et il n’y pas d’émissions de gaz à effet de serre. Compte tenu des centaines de milliers de voitures dans les embouteillages, on peut imaginer les économies qui pourront être réalisées.

Sur le plan économique, on peut donc parler de retombées à moyen et à long termes ? Que sont-elles ?
Le seul inconvénient de l’hybride est son coût à l’achat: entre 15 et 20% plus cher qu’une voiture normale. Or, ce coût sera amorti sur les années qui suivent comme le prouvent les études de rentabilité. En France, devant les aéroports, il y a 10 ans, on comptait 10 voitures hybrides pour 100 voitures normales. Aujourd’hui, c’est le contraire : 10 voitures normales pour 100 voitures hybrides. Cela prouve, par expérience, que la voiture hybride est beaucoup plus rentable pour l’utilisateur et les chauffeurs de taxis, d’autant plus qu’elle est plus attrayante en termes d’économie et de baisse des émissions de CO2. En Tunisie, on évoque souvent les pertes de l’État causées par les subventions qui atteignent des millions de dinars. Malgré cela, on préfère poursuivre la même politique. On ne pense pas sur 10 ans, mais au jour le jour.

Notre pays, avec son infrastructure, est-il prêt à recevoir une telle technologie ? Que faut-il faire pour que ce soit le cas ?
En fait, il existe une grande confusion. La majorité des Tunisiens pense que l’hybride doit se recharger lorsque la batterie est à sec. Or, ce n’est pas le cas. Les véhicules Toyota, dont les deux modèles que nous avons cités, sont équipés de deux moteurs : un moteur thermique et un moteur électrique. Il existe deux manières de recharger ce dernier. Tout d’abord, il est possible de le faire à travers le freinage et l’accélération à une vitesse de 60 km/h. Il n’y a aucun besoin de bornes de recharge. Pour la seconde manière, lorsque le moteur thermique prend la relève après les embouteillages (au-delà de 60 km/h), il recharge automatiquement la batterie. Il s’agit donc d’une auto-recharge.

En d’autres termes, nul besoin d’une infrastructure spécifique ?
Il n’y a aucun besoin d’en avoir. C’est une voiture comme une autre ne nécessitant pas d’installations spécifiques. Une voiture électrique, pour sa part, doit être rechargée avant le départ, avec une autonomie de 200 km. Si on veut rouler au-delà de ces 200 km, des bornes de recharge sont requises. C’est la principale difficulté de la voiture électrique en Tunisie. Pour mettre en place ces infrastructures, de lourds investissements sont requis. Qui va les assumer? À combien s’élèverait le coût de la recharge, sachant que la consommation d’électricité en Tunisie est calculée sur la base de paliers ? Pas seulement : en Tunisie, l’électricité est produite grâce au fioul et au gaz. Or, le gaz est importé d’Algérie en devises. Le fioul, pour sa part, est subventionné. La production de gaz n’est pas assez autonome en Tunisie. Si la Tunisie n’est pas autosuffisante en termes d’énergies renouvelables, il ne serait pas judicieux d’intégrer l’électronique aujourd’hui. D’ici 2030, la Tunisie envisage de produire 30% d’électricité à partir des énergies renouvelables. Bien entendu, il faut penser à l’électrique et envisager l’horizon 2050. Toutefois, Il existe un produit déjà disponible sur le marché qui permet de réaliser une économie jusqu’à 50% pour l’État et pour le consommateur. Il ne nécessite pas d’investissements au niveau de l’infrastructure. C’est l’hybride. Pourquoi ne pas pratiquer les avantages fiscaux? Les décideurs disent qu’ils cherchent des partenaires pour prendre en charge ces investissements…

Quel est le rôle de Toyota, en tant que l’un des principaux concessionnaires automobiles en Tunisie, pour promouvoir cette technologie ?
Notre rôle consiste à communiquer sur les avantages de l’hybride pour que le Tunisien et les décideurs le comprennent mieux. En 2020, 150 modèles hybrides ont été vendus. Cela signifie que le Tunisien est convaincu de cette technologie et il est conscient des retombées positives futures. Il est aussi friand de nouvelles technologies. Il faut comprendre que tout le monde est gagnant avec l’hybride. Nous avons entamé beaucoup de rencontres avec le ministère de l’Industrie, des Finances et l’Agence nationale de la maîtrise de l’énergie (ANME). Notre objectif était de leur expliquer les enjeux. Leurs réponses ont toujours porté sur le manque-à-gagner pour les recettes de l’Etat. Ils estiment, aussi, qu’ils risquent de privilégier une seule marque au détriment des autres s’ils acceptent de faire baisser les taxes sur l’hybride. On ne nous le dit pas ouvertement, mais on peut le deviner. On nous répond, souvent, qu’on se dirige vers l’électrique rechargeable.

Peut-on parler d’une certaine injustice subie par le secteur automobile ?
Il faut, en tout cas, mettre fin à la mentalité du “tout contrôler”. D’une part, on veut contrôler les importations des concessionnaires. D’autre part, on cherche des formules magiques qui ne font qu’encourager le marché parallèle. On n’est pas contre la vente de véhicules par les TRE. Or, cela ne doit pas se transformer en marché parallèle. Les concessionnaires travaillent dans la transparence totale, en payant à l’avance les taxes, en plus des 35% de la taxe sur le revenu. C’est leur responsabilité. Malgré cela, on leur met la pression à travers des quotas et des taxes élevées, alors que ce n’est pas le cas pour les revendeurs et le marché parallèle. Il faut laisser les gens travailler. En Tunisie, on accentue la pression sur celui qui travaille dans les règles.

Pour le mot de la fin, quel est votre message pour les Tunisiens ?
Je veux insister sur le système des quotas. C’est un grand handicap pour le développement du secteur automobile en Tunisie. Les plus grands perdants sont l’Etat et le consommateur. Celui-ci pense, à tort, que les concessionnaires veulent s’enrichir. Malgré ce marché fermé, de grandes campagnes publicitaires sont menées. L’État craint, après l’ouverture du marché, des importations massives. Il n’en est rien car le marché s’autorégule selon l’offre et la demande. Le client s’oriente vers le meilleur service et la meilleure qualité. De plus, les sorties de devises vont baisser. En effet, plus le volume d’achat est important, meilleure est la capacité de négocier les prix.

Entretien conduit par Mohamed Fakhri Khlissa

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