Promesses, quête du bonheur, réalisation d’un rêve inaccessible, des causes à première vue bien nobles … Mais de quoi sont capables certains Tunisiens pour parvenir à leurs fins ? La voyance, sorcellerie, une pratique de plus en plus courtisée en Tunisie. Il s’agit de changer le cours du destin, changer la vie de quelqu’un par des pratiques toutes aussi cocasses les unes que les autres. Un marché parallèle très fleurissant. Des pratiques qui ont parfois conduit à l’empoisonnement, le décès ou l’infertilité des personnes visées. La définition que donne certains sites de sorcellerie est assez effrayante. « La sorcellerie noire est un pacte conclu entre le sorcier et une forme négative, dans les cas les plus extrêmes, il s’agit du diable, dans les autres, il s’agit d’un djinn ou un démon puissant. Les djinns ou les démons aident le sorcier, plus ce dernier est dans la mécréance, plus le djinn lui obéira et sera prompt à appliquer ses ordres.
La plupart du temps, un accord est passé entre le sorcier et le démon, de sorte qu’il doit en premier lieu accomplir certains actes néfastes, apparents ou dissimulés, et le démon pourra servir le sorcier ou lui envoyer quelqu’un pour le servir»
Voyance aveuglante
C’est l’histoire assez cocasse de Brahim, 70 ans, qui a travaillé durant des années en tant que chauffeur chez une famille assez aisée. Un jour, son employeur a décidé de se lancer dans un projet de fabrication de produits d’entretien ménager. Brahim saisit alors l’occasion pour proposer les services de son beau fils, commercial, âgé de 35 ans, marié à sa fille depuis 8 ans et père de 3 enfants en bas âge. Une petite famille modeste que le nouveau job du père a égayée. Quand Mohamed a reçu son premier salaire, il a offert un cadeau à Brahim, une paire de chaussure achetée à Moncef Bey à bon marché et une nouvelle tenue. C’est aussi une nouvelle vie qui allait commencer. En effet, une toute nouvelle vie, une double vie.
Mohamed est tombé sous le charme d’une ouvrière âgée d’à peine 22 ans. Il lui faisait des avances pendant les heures de travail, il s’est rapproché d’elle. Les autres ouvriers les voyaient quitter l’usine ensemble.
Brahim nous confia «Mon beau fils ne rentre à la maison qu’après 23h00 laissant ma fille et mes petits enfants sans nouvelles. Il disait au début qu’il avait à faire, il est même devenu violent avec ma fille à chaque fois qu’elle lui fait des remarques à ce sujet jusqu’au jour où il a dit à ma fille qu’il voulait demander le divorce.»
Mohamed a avoué avoir eu des relations sexuelles avec sa maîtresse et qu’il voulait l’épouser.
Brahim décida alors de prendre les choses en main, en bon désespéré, il décida d’aller voir «la voyante» de son quartier à Manouba. La voyante lui dit alors que son beau fils était aveuglé par sa maîtresse, que la jeune l’aurait ensorcelé. Elle lui a même donné des détails, des détails qui ont impressionné Brahim. Brahim est donc certain que l’ouvrière a offert un jus à son beau fils dans lequel il y avait «de la magie noire». Son beau fils est mashour. La voyante lui propose dès lors ses services. Pour 600 dinars, elle va arranger le problème et son beau fils redeviendra comme avant. Brahim s’endette et la paye. Depuis, chaque jour il donne à sa fille des herbes à infuser, à faire boire à son époux, du «Bkhour» (de l’encens) qu’elle doit mettre dans la chambre conjugale. Brahim est convaincu que cela a de l’effet, il croit dur comme fer aux pouvoirs de sa voyante …
De la voyance au voyeurisme, satanée question !
Amel avait à peine 18 ans lorsqu’un couple d’amis à elle commence à s’intéresser de très près à la religion. Amel ne reconnaissait plus sa meillleure amie et son époux. Ils ne parlaient plus que d’»Islam» mais de manière très morbide et effrayante. «J’étais quelque peu influencée par leur comportement parce que Myriam était ma meilleure amie, elle est plus âgée que moi, elle était comme une deuxième mère, une grande sœur. Bien qu’étant quelque peu effrayée, je me laissais convaincre parfois. J’étais en crise d’adolescence, j’avais beaucoup de problèmes, une période très critique de ma vie. Un jour, ils m’ont dit qu’ils ont rêvé de moi, que j’étais hantée par un démon et que tous mes malheurs venaient de là. Je m’éloignai de la voie du seigneur… Sans plus tarder, sans même demander mon avis, ils invitèrent «le Cheikh» chez eux. Barbu, mal habillé, une vraie caricature d’extrémiste. Il a commencé à lire du coran, jusque-là, rien d’anormal. Il a pris de l’encre jaune qui sentait très fort, a écrit des mots, a demandé mon nom et celui de ma mère. Pour lui, la situation est grave. Il a trempé le papier dans un verre d’eau et m’a demandé de boire en répétant ce qu’il disait. Des phrases que je ne comprenais pas, parfois des sons, des onomatopées. J’étais dans le monde de l’étrange. Il m’a demandé ensuite d’entrer dans la chambre et qu’il avait besoin d’être seul avec moi pour se concentrer. Le couple nous laissa seuls dans la salle de séjour. Le cheikh ferma la porte et continua à lire des phrases, des mots, des versets … Puis il me toucha le corps du bout des doigts en me demandant si je ressentais quelque chose, si j’avais envie de vômir. Je ne savais plus quoi faire, ni quoi dire. Il me demanda de me déshabiller entièrement et me dit que je devais avoir une relation sexuelle avec lui pour chasser le démon qui était en moi. Je me suis laissée faire, je me suis sentie impuissante, violée, je ne pouvais pas parler. Je n’ai plus dit un mot, nous avons quitté la chambre. Il m’a donné devant mes amis une bouteille que je devais boire et des papiers que je devais garder sur moi. J’ai quitté la maison de mes amis et depuis ce jour, j’ai changé de numéro et je ne les ai plus jamais revus.»
Yasmine Hajri