XIIe anniversaire du 14 janvier : Que reste-t-il de la révolution ?

Entre les « scénaristes » du 14 janvier 2011 et les « putschistes » du 25 juillet 2021, les Tunisiens ne savent plus à quel « saint » se vouer, ou plutôt, ne veulent plus se vouer à quelque « saint » que ce soit.

Douze ans après la chute de Ben Ali, ils militent encore pour l’emploi, pour la liberté et pour la dignité, slogans du 14 janvier 2011, mais dans un contexte économique et social plus dégradé. Le sentiment d’avoir été floués par des politicards avides de pouvoir leur a fait déserter les urnes, d’une élection à l’autre, et perdu confiance en l’Etat. Aujourd’hui, ils attendent en priorité de Kaïs Saïed une issue à la crise économique et la reddition des comptes avec ceux qu’ils considèrent comme les responsables de la décennie noire. Pour eux, les élections législatives et le parlement peuvent attendre. 
Que reste-t-il de la révolution de l’emploi, de la liberté et de la dignité, de la révolution du jasmin applaudie par le Congrès américain, du Printemps arabe qui a « apporté » la démocratie et les Droits de l’Homme ? Un pays au bord de la faillite, un peuple divisé sur le modèle politique, sur les orientations économiques et sur les questions identitaires, des familles endeuillées par le terrorisme et en impatience face à une justice en partie compromise, des citoyens désespérés nostalgiques de l’époque Bourguiba ou de celle de Ben Ali et une énième crise politique qui menace de déboucher sur un nouveau putsch, coup de force constitutionnel ou non, pour renverser le pouvoir en place. 

Bouillonnement
Après Bourguiba, Ben Ali, Ghannouchi, c’est au tour de Kaïs Saïed d’être menacé de renversement. Les instigateurs émergent de tout bord : de gauche, de droite, du centre, politique, universitaire, société civile, syndicaliste. Les initiatives pleuvent depuis le ratage électoral du 17 décembre dernier proposant, toutes, le dialogue et le changement, certaines avec Kaïs Saïed, d’autres sans lui. Un dialogue pour trouver les solutions à la crise économique et financière et pour baliser la voie politique de l’après-Kaïs Saïed. Malgré les divergences de vues, tous partagent la même conviction : éviter à la Tunisie la guerre civile et l’anarchie. Le risque est-il vraiment réel ? Des indices permettent d’en douter. 
Le paysage politique bouillonne et l’offre de changement – un nouveau président ou un nouveau gouvernement ou les deux à la fois –  grossit comme une boule de neige, tout comme le nombre des opposants et des adversaires du président. L’Ugtt, la Ligue des droits de l’homme, l’Ordre des avocats s’apprêtent à faire connaître leur programme. Le PDL a présenté sa feuille de route. Les autres partis de l’opposition ont suggéré diverses propositions. Mais ces derniers avancent en rangs dispersés et de surcroît, sans bases populaires. Ce qui permet de douter de leur capacité à faire partir Kaïs Saïed avant 2024, année de fin de mandat, même s’il ne change rien à sa stratégie du mutisme et de l’unilatéralisme. La majorité des partis politiques (plus de 200) qui ont vu le jour après le 14 janvier 2011 est inactive ou a disparu, à l’exception d’une poignée de formations politiques qui ont gouverné aux côtés d’Ennahdha mais qui sont incapables de drainer les foules dès lors que le mouvement Ennahdha a battu en retraite après le coup de force du 25 juillet 2021 et la prise en main par la justice des dossiers liés au terrorisme. Trop inquiets de la dégradation de leurs conditions socio-économiques et de l’incertitude qui plane sur l’avenir de leurs enfants et celui du pays, les Tunisiens ont banni la politique de leurs préoccupations quotidiennes et ne répondent plus aux appels à manifester dans les rues. Pire, ils ne veulent plus voir ou entendre les représentants des partis politiques qui sont arrivés au pouvoir mais qui ne l’ont exercé que pour servir leurs agendas politiques et leurs propres intérêts mettant en péril l’Etat, la nation et leurs compatriotes. Ces partis ont été chassés de l’ARP le 25 juillet 2021, ils forment aujourd’hui cette opposition rebutée par la majorité des Tunisiens.

A la recherche d’un nouveau 14 janvier
La journée de samedi 14 janvier 2023 est très attendue par ceux qui ont promis que ce sera le dernier jour de Kaïs Saïed en tant que président omnipotent disposant de tous les pouvoirs, gouvernant avec des décrets et n’autorisant aucun recours contre ses décisions et ses décrets. Convaincus qu’ils ne disposent, eux, d’aucun moyen pour mettre à exécution leur souhait, certains d’entre eux ont fait appel à l’Armée pour intervenir et Mohamed Abbou, ex-président du Courant démocratique, d’exhorter les militaires à désobéir au chef suprême des armées, Kaïs Saïed. Abbou est convoqué par la justice militaire pour répondre de ses propos, sachant que ce n’est pas la première fois que Mohamed Abbou s’adresse à la Muette. La fois précédente, c’était en 2021 quand il a « conseillé » Kaïs Saïed d’activer l’article 80 et de déployer l’Armée pour mettre les dirigeants d’Ennahdha, alors au pouvoir, hors d’état de nuire.
Le faible taux de participation au premier tour du scrutin des Législatives du 17 décembre dernier a réveillé les démons et ressuscité les convoitises. Le 14 janvier 2023 devrait être la journée du ralliement des opposants de tout bord dans le but de recréer un 14 janvier avec, cerise sur le gâteau, « la fuite » du président vers d’autres cieux plus cléments. Mais il semble que « la fête » ne sera pas pour cette année et qu’il n’y aura pas foule pour faire impression à l’intérieur et à l’extérieur du pays car l’Ugtt s’est rebiffée et le PDL aussi. Abir Moussi déteste qu’on l’imite ou qu’on lui prenne la bonne place, notamment l’Avenue Bourguiba. Taboubi, quant à lui, et ses camarades, ils ont certes des choses à reprocher à Kaïs Saïed et refusent tout compromis sur la levée de la compensation et sur la privatisation des entreprises publiques, mais refusent aussi de collaborer avec les partis politiques contre le processus du 25 juillet que la Centrale syndicale a soutenu dès le départ. Avec la Ligue des droits de l’homme et l’ordre des avocats, l’Ugtt prépare une feuille de route pour proposer une sortie de crise pour le pays. Cette feuille de route sera adressée au chef de l’Etat avec l’espoir qu’elle sera un point de départ pour un dialogue national avec lui mais sans les partis. L’initiative des trois sur les quatre récipiendaires du Prix Nobel 2012 – l’Utica ayant opté pour le mutisme et la discrétion – paraît la plus sérieuse du point de vue de la crédibilité des organisations instigatrices et de leur objectivité, sachant que toute initiative qui exclut le président Kaïs Saïed, détenteur de tous les pouvoirs, est vouée à l’échec tout comme celle qui lui intime l’ordre d’annuler le processus électoral en cours. 
Les prochains jours ou semaines devraient donc être décisifs, Kaïs Saïed comptant sur un taux de participation plus élevé au second tour des Législatives pour réhabiliter sa légitimité populaire et celle de son projet politique et les Tunisiens à la faveur d’une initiative sérieuse qui les extirpe de l’impasse dans laquelle le pays est engouffré. Il est vital pour la Tunisie que le président Kaïs Saïed réagisse positivement à l’initiative qui lui paraîtra la plus sérieuse car il est impératif qu’il soit mis fin à cette période de flou et au climat d’incertitude et que l’accord avec le FMI soit conclu, l’examen du dossier Tunisie ayant été reporté au 22 mars prochain. Comme il est essentiel que l’opération de reddition des comptes soit menée à terme en dépit de toutes les tentatives de la faire échouer, de saper le moral des magistrats, et de déstabiliser les membres du gouvernement, en l’occurrence la ministre de la Justice. 
En prononçant ses vœux pour la nouvelle année, Kaïs Saïed a, pour la première fois, indiqué que la Tunisie est pour tous les Tunisiens, qui ne l’ont, bien sûr, pas trahie ou mise aux enchères. Il faut espérer que l’intention d’ouverture des voies du dialogue national soit dans cette déclaration et que l’élite politique, économique et judiciaire, qui œuvre pour le salut de la Tunisie, soutienne plus fermement et plus ouvertement la frange du pouvoir judiciaire qui travaille et milite pour assainir le climat politique du pays et donner ainsi à la Tunisie la chance d’un nouveau départ réussi. 

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