Y a-t-il une vie après la retraite ?

Les vieux ne bougent plus, leurs gestes ont trop de rides

Leur monde est trop petit.

Du lit à la fenêtre, puis du lit au fauteuil et puis du lit au lit.

Vous le verrez peut-être, vous la verrez parfois en pluie et en chagrin,

Traverser le présent en s’excusant déjà de n’être pas plus loin.

 Jacques Brel – Les Vieux

Cest l’histoire un peu triste d’un technicien à la radio tunisienne qui durant toute sa carrière est arrivé à l’heure, effectuant son travail de manière exemplaire. Et puis un jour il est arrivé à l’âge de la retraite. Une cérémonie a été organisée par ses collègues pour lui rendre hommage et lui dire leurs sentiments d’amitié.

Le lendemain, premier jour de sa nouvelle vie, il est arrivé à la même heure à son studio où un jeune technicien a été programmé et il a commencé à faire des remarques sur le déroulement du travail et sur la qualité technique de l’enregistrement. Au bout de quelques heures, le jeune technicien est allé se plaindre auprès de son chef et quand celui-ci est intervenu auprès du nouveau retraité, ce dernier s’est mis en colère en criant : « alors comme ça, je ne sers plus à rien ? J’ai donné ma vie à cette institution et je dois partir comme un voleur ? »

Incrédulité et dépression

Selon un psychologue, « cette situation se retrouve souvent chez les nouveaux retraités qui ne comprennent pas comment leur administration peut fonctionner sans eux ! Ils commencent par une phase d’incrédulité, puis ils critiquent sévèrement la direction, leurs successeurs, le système, l’âge, la vie… Bref, ils se retrouvent dans une situation psychologique qui les mène parfois jusqu’à la dépression ! » Ce qui arrive souvent avec la retraite, c’est que l’on se retrouve du jour au lendemain de l’autre côté du miroir, avec un vide sidéral en perspective.

En effet, « arrêter de travailler est toujours pénible, selon un sociologue, même pour ceux qui se réjouissent de prendre leur retraite. Il y a d’abord le changement de rythme, vécu comme un tremblement de terre silencieux. On se retrouve maître du temps alors que jusque-là, on s’engouffrait chaque matin dans l’espace temporel de l’entreprise, avec les rendez-vous et les réunions. Même l’organisme craque car il n’est plus soumis à la tension créatrice et tonique qui est devenue indispensable, surtout que l’on va passer du jour au lendemain à une vie solitaire et oisive. »

Lorsque l’ancien animateur Jacques Martin a cessé ses activités suite à une maladie soudaine, on lui a demandé ce qui a changé dans sa vie et il a eu cette réponse pleine de sens : « le téléphone ne sonne plus ! » Car si certains préparent leur retraite des années à l’avance, pour le plus grand nombre des Tunisiens et des Tunisiennes, elle leur tombe dessus sans crier gare… Un ancien PDG tunisien nous a affirmé dans la même veine : « c’est comme si on n’existait plus, comme si le monde vous oubliait… »

L’image que l’on a tous de la retraite, c’est un adulte grisonnant qui s’occupe de ses petits enfants et qui pratique le jardinage et la pêche à la ligne le reste du temps. Le développement du secteur tertiaire au cours des dernières années exigeant peu d’efforts physiques, a permis à ceux que l’on appelle désormais les séniors de vivre mieux et plus longtemps. L’espérance de vie en durée et en qualité leur donne une seconde vie d’une ou deux décennies. En outre, cette nouvelle vie est débarrassée des obligations matérielles, puisque les crédits ont été payés et que les enfants ont quitté le foyer familial.

Mais cette image n’est pas générale, elle ne concerne qu’une petite partie des séniors. Nous avons constaté au cours de cette enquête que deux salariés sur trois avaient un emploi physiquement épuisant qui les a laissés exsangues, avec des problèmes de santé assez handicapants. Ils n’ont souvent d’autre occupation que de s’assoir dans le café du quartier à siroter un café, à discuter avec des plus vieux qu’eux et parfois à jouer aux cartes, tandis que les plus lettrés lisent un journal ou une revue…

La raison de ce laisser-aller est que les moyens leurs manquent pour se payer des spectacles, des loisirs, des voyages… C’est ce que confirme Mustapha, une fonctionnaire qui a atteint le grade de chef de service avant de se retrouver au café du coin à jouer aux cartes : « moi je suis amoureux du théâtre et des spectacles de qualité. Durant de longues années j’ai pu voir les meilleures pièces des grands noms tunisiens et les spectacles du festival de la Médina. Mais là je ne peux plus payer les sommes de plus en plus élevées car ma pension de retraite me suffit à peine à joindre les deux bouts, car j’ai deux enfants au chômage. »

Population vieillissante

Il faut noter que le nombre des personnes âgées dans la population tunisienne ne cesse d’augmenter. Face à ce vieillissement démographique, les réponses ne sont pas au niveau souhaité aussi bien pour ce qui est de l’encadrement psychologique que pour celui de la protection sociale, avec des pensions souvent trop faibles pour suivre le rythme de la vie. Le niveau de pauvreté des personnes âgées est assez méconnu, alors qu’elles représentent 10% de la population actuelle et que les projections officielles font état d’un taux de 17,7% en 2029.

Bon nombre de Tunisiens ayant atteint l’âge de la retraite se retrouvent ainsi obligés de continuer à trimer. Ce sont souvent des manuels, des petits commerçants ou des ouvriers sans qualification. C’est ainsi que nous avons rencontré Salem, un maçon de 74 ans qui nous a assuré : « toute ma vie j’ai trimé sur les chantiers, avec des entrepreneurs qui ne cotisaient pas à la caisse de prévention sociale. J’ai aussi beaucoup travaillé chez des privés qui me payaient au jour le jour. Résultat : je me retrouve aujourd’hui obligé de travailler, malgré mes articulations douloureuses, des difficultés respiratoires et des problèmes de peau dus au ciment… »

Pour d’autres, comme Tahar, ancien journaliste, « continuer à travailler est une envie, un besoin vital pour maintenir en forme mes petites cellules grises… » Il bosse même plus qu’avant : c’est le classique syndrome du retraité hyperactif qui ne parvient pas à décrocher, surtout qu’il a trimé douze heures par jour pendant trente cinq ans, au point que c’est devenu une addiction, une intoxication même, puisqu’il fume beaucoup en travaillant.

Un élément important mérite d’être signalé : durant notre enquête, nous avons constaté que des compétences sont en train de se perdre à cause des départs en retraite, sans que la relève soit assurée. C’est le cas des métiers de l’artisanat, comme l’ébénisterie, la sculpture sur marbre, les créations de poteries… « Mes enfants ne veulent pas apprendre mon métier, qui est celui de mes ancêtres », nous dira Ahmed, un artisan qui crée des chefs-d’œuvre sur son tour à bois. Dire qu’au Japon, les anciens sont élevés au rang de monument national vivant, avec pour tâche d’apprendre les anciens métiers à plusieurs jeunes !

Et puis il y a le regard des autres : le retraité se retrouve rejeté par ses anciens collègues, fiers d’être encore actifs et ne voulant pas perdre leur temps précieux avec un vieux. Il est poussé par son épouse vers le café du coin, car elle ne supporte plus de le voir trainer dans sa cuisine. Ses enfants l’appellent rarement au téléphone et ne lui rendent visite que lors des fêtes religieuses, montrant très vite des signes de lassitude… Alors il devient progressivement un petit vieux, sans perspectives et sans projets, même à court terme.

C’est la raison pour laquelle il devient urgent de créer des cadres d’activités plus variés pour cette catégorie de citoyens, puisque les rares associations existantes ne sont pas très performantes. On pourrait leur organiser des séjours dans diverses régions de la Tunisie, des tarifs de groupe pour les spectacles, des voyages à l’étranger, des lieux de rencontres et de loisirs… Cela existe sous d’autres latitudes, permettant aux séniors de vivre agréablement et en meilleure santé.

Yasser Maârouf

 

Related posts

Msaken : Un homme retrouvé pendu 

Clinique Averroès : Un refuge pour patients en détresse  

Sidi Hassine : Un différend entre élèves tourne à l’agression à l’arme blanche