Le mot a été lâché au moment des derniers pourparlers entre le Chef du gouvernement et le Secrétaire général de l’UGTT pour éviter la grève générale du 22 novembre dernier : le gouvernement ne peut consentir à la hausse des salaires dans la fonction publique à laquelle il s’était pourtant engagé dans les accords signés en novembre 2017 et en juillet 2018 du fait de l’Accord de Facilité étendue signé avec l’institution de Bretton Woods en 2016. Le FMI serait alors responsable de nos difficultés et de nos malheurs.
Un constat amer pour les Tunisiens qui voient la souveraineté économique leur échapper quelques années seulement après une Révolution qui a mis la dignité au cœur de leurs priorités. Mais, un aveu officiel qui, j’en suis persuadé compte tenu de ma longue expérience dans les institutions internationales, ne doit pas faire plaisir à l’institution de Bretton Woods, tellement les institutions internationales sont attachées au respect de la souveraineté des choix de politique économique des pays.
La réponse du gouvernement à la Centrale syndicale et l’évolution de la situation économique dans notre pays ont soulevé d’importantes interrogations sur les relations entre notre pays et le FMI. Et, la question a été posée sur notre capacité à vivre sans le FMI, particulièrement dans un contexte marqué par une crise sans précédent des pouvoirs publics.
Ces questionnements et ces interrogations ont été à l’origine de la division de l’opinion publique autour de deux positions tranchées. D’un côté, la position officielle appuyée par quelques experts et quelques spécialistes qui estiment que nous n’avons pas le choix et que nous devons respecter les engagements pris avec l’institution de Bretton Woods. Plusieurs arguments sont évoqués pour justifier cette position. Le premier est le fait que c’est notre pays qui est allé voir le FMI pour signer un accord avec lui et ce n’est pas l’institution de Bretton Woods qui est venue vers nous pour imposer ses conditionnalités. Le second argument concerne la crise économique que nous traversons et la dérive de nos grands équilibres macroéconomiques, notamment les finances publiques et la balance courante qui exigent la mobilisation d’importantes ressources externes que nous aurons les plus grandes difficultés à mobiliser sans un programme avec le FMI.
Ceux qui soutiennent cette position et s’alignent sur l’accord signé avec l’institution de Bretton Woods évoquent également les taux concessionnels pratiqués par le FMI alors que les taux sur les marchés internationaux sont nettement plus élevés. Un autre argument évoqué est lié au fait que l’ensemble des institutions multilatérales conditionnent le versement de leur appui à la signature d’un accord avec le FMI. Enfin, ils évoquent la question des notes souveraines et l’importance accordée par les agences de notation à nos relations avec le FMI. L’ensemble de ces arguments militent selon les tenants de cette position en faveur de la défense de l’accord avec l’institution sans lequel notre situation financière internationale serait encore difficile.
De l’autre côté, nous trouvons la position de ceux qui remettent en cause cet accord et appellent à un relâchement de nos rapports avec le FMI. Les défenseurs de cette position évoquent également quelques arguments dont le plus important concerne la défense de notre souveraineté mise à mal par l’activisme et l’interventionnisme de l’institution de Bretton Woods. Cet accord remet en cause l’indépendance des décisions économiques qui constitue un des principes fondateurs de l’Etat post-colonial. Le second argument évoqué concerne les politiques d’austérité suivies sur les recommandations du FMI et leurs conséquences sociales avec une plus grande marginalité sociale et l’accroissement de la pauvreté.
Ainsi, l’opinion paraît divisée entre ceux qui soutiennent sans ambages l’accord entre le FMI et notre pays et ceux qui s’y opposent avec la plus grande détermination. Et, la question reste posée : pourrions-nous échapper au FMI et vivre sans les conditionnalités de l’institution de Bretton Woods ?
De mon point de vue, la réponse à cette question passe par la nécessité de trouver un équilibre entre le respect de notre souveraineté économique et l’indépendance de nos choix de politique économique d’un côté et les difficultés économiques et les défis que nous devons relever avec l’aide de la communauté internationale, de l’autre. Loin des positions défendant un alignement total sur les accords signés avec l’institution de Bretton Woods et celles appelant à une rupture avec le FMI, nous pensons qu’il existe une troisième voie qui passe par le rejet de la soumission qui a marqué nos rapports avec cette institution par le passé et la nécessité de définir une nouvelle stratégie, d’ouvrir des négociations qui nous permettent d’améliorer notre position et de demander au FMI une plus grande flexibilité du fait de la fragilité de la période de transition et des difficultés sociales que nous connaissons actuellement.
La réussite de la nouvelle stratégie de négociation exige cinq conditions essentielles. La première condition passe par la définition d’une vision stratégique de la transition économique dans notre pays qui constituera un cadre pour les négociations entre notre pays et l’ensemble des institutions financières internationales, dont le FMI. La seconde condition concerne notre capacité à traduire les orientations stratégiques dans des choix de politique économique cohérents et clairs. A ce niveau, les négociations avec le FMI se feront sur la base de nos choix de politique économique. La troisième condition concerne la constitution d’une équipe de négociation homogène et professionnelle, disposant des connaissances techniques lui permettant de mener les aspects techniques des négociations. La quatrième condition concerne la nécessité de construire une alliance large et forte pour appuyer le gouvernement dans ses négociations. La dernière condition concerne la diversification de nos sources de financement qui a été un élément essentiel de notre système de financement depuis l’indépendance. Or, cet équilibre a été rompu depuis la Révolution et les institutions internationales, particulièrement le FMI, ont pris une importance sans précédent vis-à-vis des autres sources bilatérales ou des marchés financiers expliquant leur influence dans les choix de politique économique.
Les difficultés des négociations entre le gouvernement et l’UGTT soulèvent des interrogations et des questionnements sur la nature de nos relations entre le FMI et notre pays. Ces relations doivent être revues et construites sur des bases prenant en considération les difficultés de cette période de transition et la fragilité de la condition sociale. Mais, cette relation passe aussi par notre engagement et notre volonté à opérer les transformations et les réformes nécessaires pour relancer les dynamiques de développement et de transition économique. n
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