Le public de Carthage a été transporté loin de son quotidien stressant, de ses problèmes, de sa tristesse suite aux derniers événements, l’espace de quelques heures grâce à un artiste hors pair. Après des années, le festival le plus ancien du monde arabe a pu lundi soir renouer avec la qualité et l’expertise de ses débuts et reconquérir ses lettres de noblesse. On peut même affirmer qu’avec un seul spectacle de cette envergure, il aura fêté la tête haute son 50e anniversaire !
Depuis deux décennies, plus de cinq millions de spectateurs à travers le monde ont assisté aux concerts de Yanni. Il continue de présenter des concerts partout dans le monde dont la majorité à guichets fermés tel a été le cas en Tunisie. Un 2e spectacle a été d’ailleurs programmé pour satisfaire une demande d’achat de billets qui ont atteint au marché noir la barre des 300 et 600 dinars. Un véritable phénomène musical, l’un des rares dont la musique dépasse les frontières et l’un des compositeurs les plus populaires de son époque.
Surprenant, troublant de voir à quel point Yanni a rallié les générations de par l’universalité de son art et de sa virtuosité. Lundi soir, plus de 7200 spectateurs ont rempli le Théâtre romain de Carthage. Jeunes et moins jeunes assis coude à coude étaient venus acclamer le pianiste autodidacte d’origine grecque. Même si l’artiste était ponctuel sur scène, l’attente était longue pour certains qui étaient venus depuis 17h pour avoir une meilleure place en attendant la rupture du jeûne et manger sur place. Le spectacle allait commencer à 22h30. A 21h30, c’était déjà archi comble. La place réservée aux journalistes n’était plus visibles à part quelques journalistes venus très tôt eux aussi. Les piliers rouges délimitant les places ne voulaient plus rien dire. Alors que le public patientait gentiment devant les écrans géants transmettant les prochains spectacles, les lumières s’éteignirent les drapeaux palestiniens et tunisiens ont rempli les deux écrans et l’hymne national surgit du fond de la nuit. Le public debout a chanté jusqu’au bout d’une seule voix, la voix de la nation. C’est que Yanni est également un véritable ambassadeur pour la paix, défendant toujours les causes nobles. Chemise et pantalon blancs, cheveux long couleur de jais et un sourire porcelaine qui n’a pas quitté ses lèvres tout au long du spectacle. Les bras disposés en croix, chaque main pianotant l’un des deux claviers disposés face à face, son doigté pianistique, supporté d’une dizaine de musiciens, a pris des airs célestes. Tantôt aux claviers, tantôt au piano, un véritable voyage qui nous a fait voir de « toutes les couleurs » son et lumière, que nous a offert le célèbre pianiste. Ses hymnes new âge se sont ainsi parés d’une touche de jazz, de rock, de classique et même d’accents de la Méditerranée. Devant un public en extase et complice, Il est si fascinant de constater à quel point l’instrumental a pu, sans verbe aucun, attiser d’aussi vives émotions. Un violon agressif maté par une maitresse amazone, une harpe manipulée à la perfection par son maitre, une contrebasse en folie domptée également par ce fougueux personnage au mille talents. Des trompettes et orgue en transe. Dopés ? Certes, le bassiste a levé sa tasse au public. Oui ils sont dopés de café tunisiens ! La théière argentée remplie également de thé du pays a été également mise en relief sur scène!
Malgré les milliers de spectateurs présents, il en a résulté une expérience musicale des plus intimistes. L’artiste n’a pas été embarrassé sur le plan langage devant un public tunisien arabophone ou francophone, mais au fur et à mesure, celui-ci ne s’est plus inquiété. L’anglais était aussi pratique. Le traducteur invisible était même hué pour mieux boire les paroles de l’artiste qui a pris la chose avec grand humour. La musique est un langage universel. Elle a été le meilleur médium qui a su communiquer toute l’émotion. Pour ceux et celles qui n’ont pas eu le privilège d’avoir vécu un tel spectacle de si haute facture ils pourront se consoler en allant voir d’autres concerts. Il n’y aura pas de risque de rupture de billets. Il y aura pour tout le monde.
Nadia Ayadi