Yosr Nehdi: les minéraliers et les cimentiers peuvent agir considérablement en faveur de la biodiversité (Vidéo)

Face à l’urgence climatique, des centaines d’actions et initiatives communautaires ont été lancées durant ces dernières décennies pour restaurer la biodiversité en tant que garant d’une meilleure qualité de vie des êtres humains et pilier de l’équilibre de l’économie mondiale. Toutefois et en dépit des avancées significatives réalisées, nous sommes toujours loin du compte et la situation demeure alarmante. En effet, selon un rapport établi en 2019 par l’ONU, un million des espèces animales et végétales (sur 8 millions recensées sur Terre) sont menacées d’extinction à court ou moyen terme. La communauté internationale est donc appelée à redoubler ses efforts pour agir efficacement en faveur de la protection de la biodiversité. C’est dans cette optique que l’initiative BIODEV 2030 a été lancée dans 16 pays pilotes dont la Tunisie pour engager des mutations profondes dans les secteurs de l’économie ayant une incidence stratégique sur la biodiversité.

Lors de cette interview accordée à Réalités Online, Yosr Nehdi, responsable des politiques de plaidoyer de l’initiative BIODEV 2030 au bureau du Fond Mondial pour la Nature WWF Afrique du Nord revient sur les actions engagées en Tunisie dans le cadre de ce projet pilote et sur le rôle à jouer par certaines filières économiques en matière de protection de la biodiversité. Interview.

Si vous avez à nous présenter brièvement le projet Biodev2030, ses objectifs, les pays concernés et quel rôle à jouer par la Tunisie pour réussir ce projet?

Actuellement au bureau du Fond Mondial pour la Nature Afrique du Nord (WWF) nous travaillons sur l’initiative BIODEV 2030 en tant qu’initiative pilote financée par l’Agence Française de Développement (AFD) et lancée dans 16 pays asiatiques et africains y compris la Tunisie. Depuis presque un an et demi, nous accompagnons le gouvernement tunisien représenté par le ministère de l’Agriculture, le ministère de l’Environnement, le secteur privé, en vue de l’intégration de la biodiversité dans au moins deux secteurs économiques les plus impactant sur l’environnement.

L’objectif est donc d’intégrer la biodiversité à travers ce que l’on appelle les engagements volontaires sectoriels portés par les acteurs de filières économiques bien déterminées en vue de contribuer à réduire les pressions sur la biodiversité.

Dans le cadre de ce projet vous avez initié récemment une série de rencontres entre les journalistes et les experts, quelle est l’utilité de cette initiative, les objectifs et qu’est ce qui a été concrétisé jusque-là? 

L’initiative BIODEV2030 est fondée sur un dialogue multipartite impliquant toutes les composantes de la société tunisienne, en particulier le secteur privé, la société civile mais aussi les médias. L’objectif étant de faire impliquer toutes ces parties dans une approche de plaidoyer en faveur de la conservation de la nature.

Nous avons crée l’année dernière une plateforme d’échange et de dialogue et nous avons initié une série de rencontres-débats et de tables rondes en vue de discuter de l’enjeu de la conservation de la nature. On cherche à accorder à la biodiversité un intérêt particulier comme celui accordé à la question des changements climatiques. En effet, ces deux questions sont intimement liées.

Et dans le cadre de cette plateforme d’échange et de dialogue, nous avons invité les médias représentant la presse audiovisuelle, écrite mais également électronique pour contribuer aux discussions. Nous avons commencé par lancer un appel à candidature et nous avons sélectionné une dizaine de journalistes pour les former sur le terrain. Cette formation a permis aux journalistes sélectionnés de découvrir la biodiversité du nord-ouest de la Tunisie. Ensuite et afin d’assurer la continuité et la durabilité de cette action, nous avons convenu d’organiser mensuellement une rencontre débat avec ce même groupe de journalistes pour poursuivre ces échanges. Jusque-là, nous avons organisé avec nos partenaires dont les Nations Unies et le ministère de l’Environnement quatre rencontres mensuelles. La dernière rencontre organisée au mois d’avril dernier a permis de débattre des engagements volontaires de l’une des filières identifiées dans le cadre du projet à savoir celle des eaux minérales.

Quels sont les critères d’identification de ces filières?

Concernant le choix des filières économiques sur lesquelles nous apporterons les engagements volontaires sectoriels, nous avons effectué un diagnostic scientifique qui nous a permis d’identifier les facteurs derrière l’érosion de la biodiversité et nous a permis d’identifier deux filières économiques en concertation avec le comité de pilotage et toutes les parties prenantes du projet. Il s’agit de la filière des eaux minérales et de celle des cimenteries. Ces deux filières apparaissent comme les filières les plus porteuses en termes de dynamique économique et de capacités d’évolution pour adapter de bonnes pratiques en faveur de la conservation de la nature. Nous avons également considéré que ces filières pourraient jouer un rôle démonstrateur pour les autres filières économiques en matière de conservation de la biodiversité. Les minéraliers peuvent jouer un rôle crucial dans ce projet en sensibilisant les autres acteurs économiques, les collectivités et les habitants quant à l’importance de la conservation de la nature et de l’adoption de bonnes pratiques en faveur de la protection de l’environnement.

Avez-vous entamé la phase de dialogue avec les acteurs de ces filières?

Nous sommes en train d’examiner avec les membres du comité de pilotage l’approche et la méthodologie à adopter pour amorcer le dialogue avec la filière des eaux minérales. Nous l’avons pas encore initiée mais nous allons commencer cette phase de dialogue au début du mois de juin prochain. Entre temps, nous avons lancé les discussions dans le cadre de la plateforme d’échange avec les journalistes et les experts en la matière et cela va nous permettre également d’adopter la bonne démarche pour approcher les acteurs de cette filière.

Concrètement, quel rôle à jouer par la filière des eaux minérales pour agir en faveur de la biodiversité? Quel type d’engagements devraient être pris par cette filière? 

En ce qui concerne les minéraliers, on compte en Tunisie une trentaine d’entreprises de conditionnement d’eux minérales opérant depuis une trentaine d’années. Je voudrais bien souligner qu’en Tunisie nous connaissons une extension continue de la filière des eaux minérales et nous sommes devenu 4e consommateur mondial d’eau minérale en passant d’une moyenne de 15 litres de consommation d’eau minérale par personne en 1995 à 220 litres de consommation d’eau minérale par an.  Les minéraliers peuvent jouer un rôle démonstrateur en donnant l’exemple à d’autres filières et en les incitant à adopter les bonnes pratiques pour réduire les pressions sur la biodiversité. Il s’agit à titre d’exemple de réduire la pollution en plastique. En effet, les entreprises tunisienne de conditionnement d’eaux minérales produisent environ 500 mille bouteilles en plastique et en verre par/ heure.

C’est un angle sur lequel on peut travailler pour réduire la production en plastique et l’empreinte carbone. Ces points devraient être abordés et discutés avec les minéraliers dans le cadre de la phase de dialogue prévue au mois de juin. Nous sommes en train de discuter avec les membres du comité de pilotage les bonnes méthodologies et approches à adopter pour commencer la phase de dialogue aussi bien avec les acteurs de la filière des eaux minérales qu’avec ceux du ciment. A cet effet, nous avons initié une série d’ateliers de travail et de réunions pour voir quels formes d’engagements volontaires sectoriels devraient être formulés avec les acteurs de ces deux filières.

Quelles ambitions pour la Tunisie quant à son rôle dans la préservation de la biodiversité?

Dans le cadre de l’initiative BIODEV2030, nous portons une ambition très grande. Il est vrai que la question de la biodiversité reste marginalisée par rapport à la question des changements climatiques mais il n’est jamais très tard de commencer, de discuter, de dialoguer et d’agir. Nous portons une très grande ambition avec les minéraliers et la filière ciment pour formuler des engagements qui sont à même de réduire l’empreinte carbone et de contribuer à la conservation de la biodiversité dans les territoires où opèrent les entreprises de ces deux filières.

Pour finir je pense que la bonne approche pour adopter de bonnes pratiques avec ces acteurs, c’est le dialogue multipartite. Ensemble avec tous les acteurs de la société tunisienne sans exclusion nous réussirons à adopter de bonnes pratiques et faire évoluer les choses sur le terrain.

Propos recueillis par Hajer Ben Hassen

Montage et réalisation: Riadh Sahli 

 

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