Alaya Allani: Dialoguer avec « Fajr Libya » s’impose aujourd’hui

Fajr Libya

 

Alaya Allani, vient de rencontrer à l’étranger, des membres de différentes factions libyennes en conflit. Il n’y a pas longtemps, il avait pris une position franche, se déclarant contre le dialogue avec Fajr Libya, Interview…

Vous avez manifesté à un moment votre opposition au dialogue avec Fajr Libya puis vous vous êtes rétracté. Comment expliquer votre revirement à propos de cette question ?

La politique s’apparente plus au sable mouvant, elle est influencée par l’environnement instable. Le conflit en Libye est en perpétuel changement, s’opposer au dialogue avec Fajr Libya serait abusif avec les changements des données sur le terrain.

Aujourd’hui, d’un côté, Daech se positionne dans plusieurs villes libyennes et de l’autre, Fajr Libya, de plus en plus fragmentée, n’est plus la même organisation qu’il y a trois mois. Une partie est favorable au dialogue national et l’autre le refuse obstinément. La première  regroupe les Frères musulmans et le Groupe islamiste libyen soutenant Abdelhakim Belhaj ainsi que quelques factions salafistes. Ceux qui s’y opposent sont les membres de Ansar Charia et les groupes armés fondamentalistes et nouveaux révolutionnaires. Il faut noter que Fajr Libya prend appui dans la ville de Misrata, où opèrent 40.000 combattants et où  les affaires et le commerce prospèrent.

Plusieurs sources relèvent que Bernardino Leon, émissaire spécial de l’ONU en Libye, a créé une division au sein de Fajr Libya en attirant les hommes d’affaires et l’élite de Misrata et en les menaçant de comparaitre devant la justice internationale pour répondre à des accusations de génocides s’ils refusaient d’adhérer au dialogue national. Leurs intérêts économiques peuvent aussi être menacés par des décisions de l’ONU et autres facteurs s’ils persistent dans leur refus du dialogue. Dès lors, il n’est plus dans l’intérêt de Fajr Libya de refuser le dialogue surtout avec la venue de Daech et l’extension de sa menace en  Libye, comme le montrent les attentats meurtriers à Kobba qui ont fait 45 victimes parmi les civils. Ces attentats  prouvent que Daech prendra le dessus sur  Fajr Libya et l’organisation Karama si les efforts ne seront pas coordonnés  en matière de  lutte contre le terrorisme. Même si une partie de Karama prêche la suspension du dialogue, la majorité  est favorable  à la  reprise de ce processus.

Pour toutes ces raisons et au regard de la succession des événements, dialoguer avec Fajr Libya dans sa nouvelle configuration s’impose aujourd’hui. En Tunisie, on ne peut que l’encourager, car ni Fajr Libya, ni Karama n’en sortiront vainqueurs si la lutte contre le terrorisme dans ce pays  reste fragmentée.

Quels seraient les conséquences du non dialogue en Libye sur la sécurité en Tunisie ?

Il y aura des conséquences sur les plans de la sécurité et de l’économie. Le premier se traduira par la persistance de la tension sur les frontières tuniso-libyennes, également, celle du trafic d’armes et de  l’infiltration  de terroristes à travers les frontières. Dans un tel cas de figure, il ne faut pas exclure une plus forte mobilisation de groupes terroristes armés tunisiens résidents qui ont choisi  la  Libye comme base arrière pour lancer leurs  opérations.

Sur le plan économique, ce sont des milliers de Tunisiens travaillant en Libye qui en paieraient les frais. Les petits commerçants, en majorité des citoyens du sud tunisien, verront leur situation s’aggraver. Il en est de même  pour les hommes d’affaires ayant des intérêts en Libye notamment dans les secteurs du bâtiment, de l’infrastructure et de l’industrie.

Comment jugez-vous la position de refus de la Tunisie et de l’Algérie de toute  intervention armée en Libye ?

Cette position commune est le résultat d’une coopération et d’une coordination bilatérale en matière de sécurité qui se sont davantage renforcées suite à la visite de Béji Caïd Essebsi en Algérie. A mon sens, le principe de la non intervention armée est le fruit de trois facteurs :

 

Le premier facteur est que la libération d’un peuple ne se fait que par le peuple lui-même et non par l’action étrangère quelle que soit son importance.

 

Le deuxième est que l’intervention armée des forces de l’OTAN dans ce pays n’a engendré que le chaos, la guerre civile et l’effondrement économique,  pas  la démocratie. L’intervention de l’OTAN en Libye n’a pas ouvert la porte à la démocratie pour les Libyens. L’intervention armée en Syrie a approfondi la division des Syriens et le plus grand gagnant étaient les courants religieux fondamentalistes.

 

Troisièmement, la solution politique reste la principale solution nonobstant les grandes dissensions qui existent entre Fajr Libya et l’organisation Karama, ce qui prouve que  la politique a une  logique propre à elle.

Dans le passé, des peuples ayant connu des guerres sanglantes ont fini par conclure une paix entre eux. Ainsi les peuples libyens et syriens ne sont pas loin de ce scénario. N’oublions pas que l’intérêt de la Tunisie dans le dossier libyen impose la prudence et l’encouragement des libyens à dialoguer car ils finiront par se rassembler quelles que soient les accusations qu’ils se lancent. Je crois que les négociations, selon ce que j’ai pu constater lors de mes rencontres avec les différentes parties, connaitront une progression dans les prochains jours à cause du danger que représente Daech et de l’impatience de l’opinion publique libyenne à l’intérieur et à l’étranger. Les Libyens ont retenu, paraît-il, la leçon de l’errance du peuple syrien victime des agendas étrangers et de l’intervention militaire. Ainsi, ils veillent aujourd’hui au retour de la stabilité de leur pays. Le rôle de la Tunisie est d’encourager, voire même d’accélérer l’entente entre les deux parties, car elle y gagnera sur les plans sécuritaire et économique. La position algérienne a les mêmes raisons que la Tunisie notamment parce qu’elle connaît mieux que quiconque les risques d’une guerre contre les terroristes surtout que la majorité des frontières algériennes sont partagées avec des pays en proie à des conflits et que l’Algérie n’a aucun intérêt à ce que cette situation persiste.

Après des années de conflits entre libyens quelles sont les conditions pouvant mener à l’entente ?

Le salut des Libyens est relié à plusieurs facteurs dont l’instauration de la citoyenneté avec tout ce que comporte le mot et il faudra procéder progressivement à l’indépendance du pouvoir juridique. Il faudra aussi partager équitablement les richesses et éviter la main-mise d’une tribu sur une autre, ainsi que le désarmement des milices. Il faut, surtout, constituer un gouvernement d’union, finir la Constitution et fixer la date des élections, mais avant cela, annuler la loi de l’exclusion politique à l’instar de la Tunisie afin de faciliter la réconciliation nationale dans l’avenir. Il est aussi essentiel de changer le facteur tribal ségrégatif à un facteur incitant à la solidarité nationale et il est important de mettre fin aux conflits ethniques, ainsi, ceux qui sont d’origine arabe, berbère, africaine, andalouse, sont tous des Libyens égaux en droits et devoirs.

Propos recueillis par Hajer Ajroudi

 

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