Sept ans après la Révolution du 14 janvier 2011, la transition démocratique se trouve-t-elle soudain dans l’impasse ? Sans verser dans un pessimisme excessif, il n’échappe à personne que la Tunisie vit aujourd’hui un grand malaise politique, économique et social dont la responsabilité incombe à toutes les parties, à commencer par les acteurs politiques, plus enclins à des guerres fratricides et aux surenchères stériles qu’à se prévaloir en tant qu’agitateurs de débats qui interpellent et mobilisent. Ce blocage se nourrit également du laxisme des pouvoirs politiques qui n’ont pas su faire bouger les choses, mettre en route les réformes qui s’imposent et à faire appliquer la loi. Le prestige de l’Etat, qu’on n’a eu de cesse de claironner à longueur de discours, reste un slogan creux avec l’affaiblissement extrême de l’Etat plus que jamais incapable d’assumer ses missions essentielles en gérant au plus pressé les affaires du pays.
Les organisations de la société civile assument, dans ce magma, une grande responsabilité dans le cercle vicieux dans lequel le pays ne cesse de se débattre. Des organisations qui se soucient plus de se substituer au pouvoir, que de jouer leur rôle de contre-pouvoir. Par leur politique de bras de fer, leur refus systématique du consensus et leur obstination à glaner encore et toujours des acquis aux travailleurs, certaines parties sont à l’origine de la déstructuration des entreprises qu’elles soient publiques ou privées et l’aggravation de leurs difficultés.
Aujourd’hui, les symptômes du blocage se perçoivent particulièrement sur le plan politique dans la mesure où les manœuvres et les calculs des différents acteurs, toutes familles politiques confondues, ont eu pour corollaire le report des Municipales et l’aggravation de la crise que connaît certaines instances indépendantes, à l’instar de l’ISIE ou de l’IVD.Le report des Municipales à 2018 constitue manifestement un coup dur pour le processus démocratique et pour la mise en place des pouvoirs locaux. Ce résultat, peu flatteur, traduit une inconscience générale et une fuite en avant. Celle du gouvernement, des partis politiques et de l’Assemblée des Représentants du Peuple qui ont préféré saboter ce processus, pourtant attendu depuis sept ans, en faisant prévaloir des agendas suspects et des intérêts partisans étriqués.
Il en est de même pour la grave crise qu’a traversée l’ISIE (Instance supérieure indépendante des élections), qui a été utilisée par de nombreux partis comme un alibi fallacieux pour rendre le report des élections inévitable. Les manipulations et les surenchères qui ont ponctué la vacance de postes au sein de cette instance ont servi pour cacher l’impréparation des uns et l’incapacité des autres à affronter une dure réalité, celle de la perte de confiance de la majorité des Tunisiens dans leur classe politique.
Enfin l’Instance Vérité et Dignité n’a pas échappé à cette même logique implacable d’instrumentalisation des instances par certaines parties pour régler des vieux comptes politiques que de l’utiliser en tant que levier important pour favoriser une véritable réconciliation nationale. Depuis sa mise en place, l’IVD s’est trouvée dans l’œil du cyclone et, très peu ont applaudi sa constitution, le travail qu’elle a mis en œuvre ou même sa composition qui ne finit pas de changer au gré des humeurs de sa présidente et de son bon vouloir. Ce qui dérange le plus depuis un certain temps, ce n’est pas tant la qualité du travail qu’elle prétend assurer pour restaurer la vérité, éviter que des actes innommables ne se reproduisent et fermer une fois pour toutes des pages sombres de notre passé, mais plutôt la gouvernance même de cette instance. Minée par les conflits d’intérêts, l’IVD que certains partis politiques soutiennent à cor et à cri (Ennahdha, le Front populaire ou Harak Tounes El Irada…), ne cesse de broyer ses membres et de déraper de la mission qui lui est dévolue. Les abus répétés de sa présidente au vu et au su de tout le monde, sont en train de fragiliser cette instance qui, depuis sa création a choisi de se placer au-dessus de l’Etat et des lois.
A l’évidence, tous les blocages qui affectent la vie politique et surtout le fonctionnement des nouvelles institutions démocratiques, se nourrissent de l’inconscience de la classe politique qui préfère les instrumentaliser et faire perdurer le goût d’inachevé que d’apporter une contribution effective à un édifice encore en construction.