Décidemment, plus on parle de réformes, de l’impératif de les mener rapidement et en profondeur, plus on taxe le gouvernement de laxisme, de faiblesse et de lenteur dans la mise en œuvre de ce processus et plus la résistance de certains Tunisiens se renforce à tout processus de changement. Ces derniers ne veulent ou ne supportent pas, courir le risque qui viendrait perturber leur confort, leur quotidien ou de les faire plier à l’exigence des obligations, des devoirs et de l’engagement citoyen. Ce qui est paradoxal, c’est la propension qui anime une majorité de personnes, qui se complaisent d’ordinaire dans les déclarations populistes, mais quand vient le moment de traduire les intentions en actions, ils se dérobent derrière un discours accusateur, voire inquisiteur à dessein de vouloir justifier l’injustifiable.
Preuve en a été donnée ces derniers temps par deux corporations professionnelles censées donner l’exemple, en cette période de grands bouleversements, dans l’accomplissement de leur devoir et dans l’option pour les voies de la transparence et du respect du droit. Ceux qui sont censés donner l’exemple daignent oublier une évidence qui stipule que le « mauvais exemple est contagieux ». Pour cela, ils préfèrent ramer à contre courant, défier l’Etat, transgresser le droit et, preuve de leur insoutenable légèreté, crient sur tous les toits leur refus de se conformer à la loi.
Plus concrètement, la guerre déclarée par les médecins de libre pratique et les avocats à certaines dispositions de la loi de Finances 2016, adoptée il y a plus de quatre mois par l’Assemblée des Représentants du Peuple les obligeant à être transparents dans l’accomplissement de leur devoir fiscal, a autant surpris que déçu.
Dans le cas d’espèce, il n’a pas été demandé aux médecins de fouler du pied le secret professionnel ou la spécificité de leur profession, loin s’en faut. Ce que la loi entend leur imposer, tout comme c’est d’usage pour les autres catégories professionnelles et les simples contribuables, c’est de déclarer les actes qu’ils accomplissent et de rétrocéder à l’Etat, tout ce qui lui revient. La même exigence de transparence et d’accomplissement de ce devoir a été demandée aux avocats. Les premiers comme les seconds, ont vite crié au scandale, considéré inique la mise en œuvre de ces dispositions et déclaré leur refus de se conformer aux principes édictés.
Loin de présenter des arguments convaincants, les uns et les autres se sont réfugiés dans des considérations corporatistes qui dissimulent mal leur manquement à leurs devoirs citoyens et leur refus de jouer à fond la règle de transparence. En voulant maintenir, vaille que vaille, le statu quo, ils ont fait montre d’un égoïsme affligeant. Ce sont toujours les autres qui payent l’addition à leur place. Les salariés, plus précisément, à qui on leur retient depuis des lustres cette contribution à la source et qui sont les principaux pourvoyeurs d’impôts alimentant les caisses de l’Etat.
Quand il s’agit de participer, de contribuer et de s’acquitter d’un devoir, certaines catégories ne reculent pas à envoyer au diable les principes moraux d’équité et de justice qu’ils défendent pourtant à cor et à cri devant les caméras ou dans les joutes électorales.
Au-delà des campagnes qu’ils mènent pour se soustraire à leurs devoirs, des actions de mobilisation qu’ils sont en train d’entreprendre pour dénoncer une loi dont les dispositions ne datent pas d’aujourd’hui et des faux fuyants auxquels ils s’agrippent pour ne pas regarder la réalité en face, le corps des médecins et d’avocats, dont très peu doutent de la noblesse de leur mission, sont en train de perdre énormément en termes d’image et d’estime. Ce que rien ne peut justifier, c’est de constater, non sans amertume, que ces deux corps importants dans la société se dressent farouchement devant la consécration des principes de justice fiscale, préférant travailler dans un cadre opaque et s’abstenant à assumer pleinement leur citoyenneté.
Pour une démocratie en gestation, le signal envoyé est on ne peut plus négatif. Quand on crie à satiété la toute importance, dans un Etat de droit, de faire prévaloir la primauté de la loi, est-il loisible de voir ceux qui sont dans les premières loges pour consacrer ces principes, s’y soustraire en refusant de se conformer à la loi qui n’exige pas d’eux de consentir des sacrifices mais d’être transparents ?