Le changement qu’a voulu provoquer Béji Caid Essebsi, à travers son initiative de formation d’un gouvernement d’union nationale, lancée il y a plus d’un mois pour sortir le pays d’une grave crise politique, économique et sociale, n’a pas finalement eu lieu. En témoigne l’enlisement des concertations entamées non sans douleur et tension, le peu d’empressement manifesté pour les conclure et la difficulté de parvenir à un consensus sur toutes les questions qui fâchent. Pourtant, le diagnostic était connu à l’avance par tous, les moyens d’y remédier n’ont pas fait l’unanimité de la famille politique et sociale qui s’est fourvoyée dans des pistes sans issue et des choix hasardeux, faute de projet clair, de vision cohérente et d’une propension à donner une chance au compromis.
Il faut avouer que depuis plus cinq ans, acteurs politiques et sociaux n’ont fait que tourner en rond, faisant le gros dos à une réalité complexe qui, au lieu de rechercher à solutionner ses causes profondes, ils se sont contentés à lui administrer, par petites doses, des palliatifs qui n’ont fait qu’empirer le mal. Loin de retenir les bons enseignements, ces mêmes acteurs, manifestement incapables de parler le même langage, ont précipité le pays dans une crise politique dont on ne connaît pas encore l’issue. Résultat : la Tunisie semble aller à vau-l’eau, en l’absence d’un pilote capable de manœuvrer et d’agir, d’une visibilité qui permet d’opérer les bons choix, la persistance des incertitudes et de risquesde dérives.
Dans cette phase, où l’expectative est en train de prendre le dessus sur toute autre chose, et en attendant l’épilogue de ce feuilleton mexicain, on relèvera quand même que l’initiative du président de la République censée apporter des solutions urgentes, a péché par son incohérence, son manque de maturité et le peu de cas qu’elle accorde à certaines règles éthiques élémentaires.
Incohérence, parce qu’en provoquant une crise gouvernementale sans réussir à susciter un consensus solide sur la formation d’un gouvernement d’union nationale, le président de la République s’est trouvé dans une position très peu confortable. Au fur et à mesure que les concertations traînaient en longueur, on décelait une sorte d’impuissance à trouver une porte de sortie à une crise politique dont il détient peu ou prou toutes les ficelles.
Cela est d’autant plus vrai qu’au moment où tout le monde est d’avis que face à un contexte particulier le pays n’a plus de temps à perdre dans les polémiques stériles, les calculs politiciens et partisans et les errements d’acteurs politiques, on a fini par se résigner à l’évidence de l’insoutenable insouciance de la classe politique. Faute de conscience, de volonté, de projet et de capacité à favoriser le compromis, elle a choisi de perdre un temps précieux dans des concertations interminables au cours desquelles chaque partie a essayé de dicter ses exigences, plutôt que de proposer une alternative, une solution qui permet d’arrêter les dégâts et de donner une trêve à leurs guerres fratricides qu’elles ne sont pas lassées depuis plus de cinq ans de se livrer.
En attendant un hypothétique accord des neuf partis politiques et des trois organisations nationales, sur un programme d’action du prochain gouvernement et sur le candidat à la primature, le pays est aujourd’hui presque à l’arrêt. Alors que Habib Essid, forcé à quitter la Kasbah, continue à gérer les affaires courantes, tous les dossiers chauds ou plutôt les réformes les plus urgentes sont condamnés à rester dans les tiroirs. Avec quel état d’esprit les membres du gouvernement, dont un bon nombre savait qu’ils sont sur un siège éjectable, peuvent-ils s’acquitter de leurs tâches et poursuivre la gestion de leurs départements respectifs ? Même s’ils font semblant de poursuivre normalement leur mission, un lourd malaise règne au sein d’un cabinet qui lui manque l’essentiel, à savoir la solidarité, la redevabilité et la cohérence de l’action.
Est-il concevable dans une démocratie en construction de voir un ministre en exercice négocier autour d’une table à Carthage le départ de son patron? Sur ce plan, la fausse note est grotesque et l’on ne peut que dire que la personne en question a failli aux bons usages, voire aux règles éthiques les plus élémentaires. Pourtant l’histoire récente nous renseigne quand il n’est pas d’accord, « Un ministre, ça ferme sa gueule. Si ça veut l’ouvrir, ça démissionne ». Il faut être un Jean Pierre Chevènement pour assumer ce genre de situations.