La guerre des signes

Par Khalil Zamiti  

Qui dit le droit écrit ou pas ? Hezb Ettahrir soumet l’autorisation accordée ou refusée par un pouvoir trop humain au vouloir divin, lui seul souverain. 

Pour extirper les racines de tel ou tel droit, l’apprendre sur le bout des doigts puis l’ânonner toute une vie ne suffit pas. Une abyssale bipartition oppose les deux appréciations car, dans la Tunisie actuelle gigotent, entre autres mondes possibles, deux sociétés virtuelles. Au cas où l’une réussira sa transition du potentiel au réel, elle aura la paternité soit de Bourguiba, soit du couple Ghannouchi-Abou Iyadh. Dans ces conditions prénatales, ce vacarme des mines assassines, avertit leurs poseurs à l’instant même où il assourdit, sans bruit, les oreilles de lointains auditeurs. Quel fut donc l’itinéraire des luttes parvenues à ce tintamarre quand bien même la continuité supputée, soit illusoire tant les ruptures s’assaisonnent l’histoire ? Depuis la menace claironnée par Abou Iyadh, ce vétéran d’Afghanistan et après maintes escarmouches parfois sanglantes, siffle sur les têtes le spectre de l’ample déferlante.

 

Le ministre mal aimé

Ansar Acharia haussent la voix au moment où Ennahdha paraît, enfin, consentir à l’application des lois par l’entremise d’un ministre mal aimé du “Front de la réforme”. Islamiste ou non, tout chargé de l’Intérieur sera désapprouvé soit par ceux-ci, soit par ceux-là.

Tel apparaît, déjà, le sous-vêtement des lois.

Cependant, les clans de la compétition jaugent le temps de l’attente avant le congrès interdit puis reporté avec ou sans l’improbable autorisation. Sur l’échiquier d’une longue transformation, ce jeu de positions suspend, soudain, ses tribulations.

La charia unira, toujours les frères ennemis mais, aujourd’hui, le pouvoir nahdhaoui paraît vraiment, couper les ponts avec les jihadistes salafis. Sans cesse latente, lancinante l’attente afférente à la confrontation de la démocratie et de la théocratie avance par bonds depuis les années de plomb. De part et d’autre une liquidation totale inspire les tenants de la solution finale.

Bourguiba, rendu fou-furieux par la bande à Ghannouchi ordonne, puis, en vain attend la mise à mort des chefs retors et maintenant gardés en prison. D’ici j’entends sa voix tonitruante proclamer : « Coupe la tête, les racines sècheront ».

 

Ambivalence de la prévention

Au second rebond « le mouvement de la tendance islamique » change d’appellation et obtient une légalisation avant sa première participation aux élections. A la troisième étape du parcours sa performance annoncée panique le dictateur et le système totalitaire abat la plus atroce des répressions les plus féroces. Aujourd’hui encore, quelques amnésiques, aux accents hyriques, osent chanter les vertus civiques de la « prévention » cynique et à l’arrière-fond sadique. Nous étions dix huit avocats et universitaires à signer une pétition contre les tortionnaires au moment où des islamistes mouraient au ministère de l’Intérieur.

 

Un islamisme coupé en deux

Au terme de son itinéraire parcouru sur la montagne russe et après sa victoire aux élections, l’islamisme, subdivisé en deux principales sections attend, malgré tout, le grand chambardement. Ces tribulations suggèrent une observation. Dans la transformation totale de la société globale coexistent plusieurs variations sectorielles.

Celles-ci n’évoluent ni au même rythme, ni dans la même direction. Ainsi, depuis la Révolution à aujourd’hui, la criminalité progresse et le tourisme régresse. D’autres domaines esquissent une danse, pour ainsi dire, sur place. A travers ces hauts et ces bas, il est question, maintenant, de réarmer le moral de l’Armée « taghoutée ». 

Mais comment évaluer, à court, moyen ou long termes le rapport des forces alignées par Ansar Acharia, d’une part, et par le gouvernement provisoire d’autre part ? Outre les montagnes forestières et le malaisé contrôle des frontières, les quartiers populaires ont à voir avec les ramifications des activistes jihadistes. 

Au congrès interdit là-bas répliquent, ici, les heurts et les cris. 

Dans les parages à effluves tribales nonobstant la modernisation, l’usage de la chevrotine par les préposés à la sécurité ajoute « la dette de sang » à ce charivari. 

Interviewé lors de son exil par un envoyé spécial d’ici, chargé de sonder son intention de négocier son retour au pays. Ghannouchi lui répondit : « Il n’en est pas question, entre Ben Ali et nous, il y a une marre de sang ! ». L’échange des rôles opère, aujourd’hui, sur un espace de protestation où interfère l’association de la misère avec la religion.

Pareille complexité relativise l’affirmation d’une majorité, plus ou moins éclairée, opposée à une minorité plutôt égarée. 

Déjà un parti politique, à esprit théocratique, prend position contre le premier chargé du champ sécuritaire et le rend responsable des deux tués pour avoir adopté une attitude rigide quant à l’interdiction du congrès. A ce propos, un commentateur au talent de conteur impute l’importance prise par les salafistes à l’excessive attention portée sur eux par les journalistes.

Certes, « à l’origine était le verbe », mais à l’origine du verbe était la situation du monde social d’où le parleur énonçait le verbe. Las, la misère est bien là que les médias en parlent ou pas. Leur don démiurgique n’a enfanté ni Ghannouchi, le nahdhaoui, ni Abou Iyadh, le salafi. A leur trépas le silence de la presse ne suffit pas.

 

C’est la faute aux journalistes

C’est même l’inverse qui prévaudra. Inquisiteurs de tous les pays intervenez à volonté, nul ne le verra ni ne le dira. Le silence des agneaux protègera le nouveau troupeau.

Dieu seul sera témoin, mais son droit, qui est le mien, surplombe celui d’une société à « takfirer ». Elle bénéficie de l’appui franco-américain, mais nos djihadistes reviendront de plusieurs fronts pour dissoudre la petite nation dans l’urne de la grande oumma. Ainsi parleront nos bataillons dans un ou vingt ans.

Ben Laden, l’idole, n’est pas mort et la révolution continuera encore et encore.

 

Le miel divin

« Wa lakum fihi chifaa », par un langage des signes les salafistes clignent vers l’ancien à partir du nouveau. Au centre Phénica d’El Manar un récent magasin aligne, entre autres produits bénis, du miel étiqueté « chifa ». Le commerçant à la barbe et au verbe fleuris vante les avantages thérapeutiques sans fin de ce nutriment divin.

Le circuit producteur et distributeur du miel « chifa » garantit ses multiples vertus islamiques. 

La désignation de ce met délicieux tend, aujourd’hui, la main à l’immémoriale association de la guérison avec la religion. Nous disons « inchallah bichfa » ou encore « allah yechfik ».

La traque d’Abou Iyadh n’est rien eu égard à ce genre de liaisons inculquées tout au long de la socialisation au plus profond de nos psychismes sans fond. A ce niveau, où collaborent la sociologie avec la psychanalyse, les détails, parfois négligés, reproduisent l’individu et la société. 

A l’heure du Chaambi ratissé, remporter une bataille des armes n’est pas gagner la guerre des signes.

K.Z.     

 

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