Notre pays vit depuis quelques jours au rythme du début des discussions avec le FMI pour espérer parvenir à un nouvel accord amorcé en avril 2020 au moment de la première vague de la pandémie de la Covid-19, avec l’arrêt de l’ancien accord signé en 2016. Depuis cette date, en dépit des appels répétés pour entamer des négociations avec l’institution de Bretton Woods afin de parvenir à un nouvel accord qui pourrait nous ouvrir la voie de la coopération avec les autres grandes institutions financières internationales et réduirait l’ampleur de la crise financière, les deux gouvernements qui se sont succédé aux affaires n’ont pas avancé dans cette direction et notre relation avec le FMI est restée au point mort.
Mais, les dernières semaines ont connu une nette accélération et l’accord avec le FMI est devenu, après un long silence, la plus grande priorité de l’action gouvernementale. Ainsi, les réunions se sont-elles succédé avec les acteurs économiques et sociaux, particulièrement les responsables de l’UGTT et ceux de l’UTICA pour assurer leur participation dans la formulation des grandes priorités du programme de réforme économique. Par ailleurs, les responsables gouvernementaux ont multiplié les déclarations pour entamer la préparation d’un programme de grandes réformes économiques pour sortir de la crise et rétablir les grands équilibres des finances publiques. Le gouvernement a formé plusieurs commissions de réflexion pour tracer de nouvelles voies de croissance et de nouvelles perspectives économiques. En même temps, le gouvernement a commencé à mobiliser un soutien international dans nos négociations avec le FMI suite aux rencontres avec les ambassadeurs des grands pays qui ont un rôle important dans le Conseil d’administration du FMI.
Il nous paraît difficile dans la situation actuelle de prévoir le résultat final de ces débuts de discussion et d’échange avec cette institution et la possibilité de parvenir à un accord. Mais, la question essentielle est de savoir si cet accord, si nous y parvenons, nous permettra de sortir de notre crise financière et d’ouvrir de nouvelles perspectives à notre économie.
L’importance d’un accord avec le FMI
Le débat public a été marqué au cours des dernières années par d’importantes critiques sur l’action du FMI dans le monde pour plusieurs raisons. La plus importante réside probablement dans la vision économique qui a fondé l’action en matière de politique économique de l’institution de Washington depuis sa création en 1944 à la fin de la Seconde Guerre mondiale dans la petite ville américaine de Washington. Les objectifs et la finalité de l’institution ont fait l’objet au cours des réunions préparatoires de nombreux débats et controverses, particulièrement entre les délégations américaine et britannique conduite à l’époque par l’économiste John Maynard Keynes. Cette controverse s’est terminée avec la victoire de la position et de la vision américaines qui limitaient le rôle du FMI à la stabilisation des grands équilibres financiers des pays par le biais de politiques conservatrices et orthodoxes.
Cette vision a été à l’origine des politiques d’austérité qui étaient au cœur des recommandations du FMI à tous les pays en proie à des difficultés financières. Ces politiques ont provoqué de nombreuses critiques dans le débat public adressées par des économistes et surtout les organisations de la société civile qui ont nettement nui à l’image de marque et à la confiance globale dans le FMI. Ces critiques considéraient qu’en plus de leurs effets sociaux négatifs, les préceptes du FMI ne favorisaient que rarement un retour aux grands équilibres dans les pays.
Ces critiques ont trouvé un écho dans notre pays, particulièrement à partir de 2012 avec la multiplication des accords avec le FMI. Plusieurs partis politiques, les organisations sociales et les institutions de la société civile n’ont pas hésité à critiquer fortement les accords signés entre notre pays et le FMI, et ont mis en exergue leur incapacité à faire face aux défis de notre économie.
Mais, en dépit de ces critiques, il semble aujourd’hui qu’il y ait un large consensus sur la nécessité de parvenir au plus vite à un accord avec le FMI pour plusieurs raisons. La première concerne la crise financière profonde et sans précédent que nous traversons et qui exige la mobilisation des efforts internes et externes pour arrêter cette descente aux enfers.
Par ailleurs, l’ampleur de nos besoins financiers pour 2021 et que le budget de l’Etat a estimés à 19 milliards de dinars ne seront pas mobilisés en l’absence d’un appui important de la part des institutions financières internationales et une sortie sur les marchés financiers. De ce point de vue, le FMI constitue une porte d’entrée importante et une garantie d’accès aux financements internationaux pour faire face à nos besoins à des coûts moins importants.
Pour l’ensemble de ces raisons, notre pays a fait de l’accord avec le FMI une priorité absolue au cours des prochaines semaines pour réduire les pressions sur les finances publiques et mobiliser les financements nécessaires pour le budget de l’Etat.
Dans cette course contre la montre et dans cette volonté de parvenir au plus vite, on peut se poser la question de savoir si la démarche suivie par le gouvernement est la bonne.
Des démarches de négociation avec les institutions internationales
La démarche de négociation avec les institutions financières internationales comprend d’une manière générale deux grandes dynamiques : une dynamique administrative et financière et une dynamique politique.
La dynamique administrative et financière comprend plusieurs étapes et passages obligés que tous les pays doivent suivre à la lettre. Dans cette dynamique, on peut mentionner plusieurs étapes qui commencent par la requête officielle pour l’institution et qui doit être signée par les représentants du pays en question dans le Conseil d’administration. Cette dynamique comprend également la signature du pays d’un document qui explique tous les engagements, ce qu’on appelle le Memorandum de politique économique et financière qui doit être envoyé au Conseil d’administration après de longues négociations avec les responsables techniques de l’institution. L’examen par le Conseil est la dernière étape dans ce processus administratif et financier.
Parallèlement aux aspects administratifs, cette dynamique comprend également un important aspect économique et financier. Il s’agit du programme et de l’ensemble des grands choix de politique économique que le pays mettra en œuvre au cours de la période d’application de l’accord et qui fait l’objet de discussions et de négociations ardues pour un objectif majeur et parfois unique qui est le retour à la stabilité des grands équilibres macroéconomiques. Pour ce qui est de notre pays, les conditionnalités de l’institution de Bretton Woods portent sur la masse salariale, les subventions et la restructuration des entreprises publiques.
Ces choix font toujours l’objet de négociations ardues et pénibles avec les délégations des experts du FMI qui font preuve souvent d’une intransigeance implacable. Mais, cet accord est nécessaire car, sans lui, la requête de notre pays ne peut être examinée par le Conseil d’administration du Fonds.
La seconde démarche dans le processus de négociation d’un accord avec les institutions financières internationales est plutôt d’ordre politique. A ce niveau, il faut mentionner que les facteurs politiques sont importants et déterminent la position des institutions. Mais ce qu’il faut souligner, c’est que ce facteur politique n’exclut pas les aspects administratifs et financiers. Au contraire, en l’absence d’un accord sur les grands choix financiers et économiques, la mobilisation politique que notre gouvernement est en train de faire aujourd’hui ne peut porter ses fruits.
C’est dans cette perspective que s’inscrit notre lecture critique de la démarche gouvernementale qui a choisi de donner la priorité aux questions politiques et de laisser la dimension économique et financière dans le domaine des bonnes intentions.
L’accord avec le FMI : une porte d’entrée aux financements internationaux… mais…
Nous avons indiqué l’importance d’un accord avec le FMI dans la mesure où il constitue une porte d’entrée aux financements internationaux et contribuera largement à la réduction de la pression de la crise financière. Mais, il ne faut pas s’inscrire dans l’effervescence gouvernementale qui en fait une planche de salut pour notre pays et pour ses maux économiques et financiers.
De notre point de vue, cet accord avec le FMI est une condition nécessaire et importante mais insuffisante pour sortir de nos crises, et ce, pour au moins cinq raisons essentielles :
– La première raison est d’ordre financier dans la mesure où la signature d’un accord avec le FMI prendra du temps et ne peut être immédiate. Il faut, pour y parvenir, définir les grands choix de politique économique à mettre en place et finaliser les négociations avec les représentants de l’institution de Bretton Woods. Mais, en même temps, nos finances publiques doivent faire face à des demandes de paiement immédiates au cours des prochaines semaines. Ce décalage entre les deux temporalités, celle des finances publiques et celle des négociations avec le FMI, pourrait conduire notre pays à la faillite. Il est urgent par conséquent que le gouvernement mobilise les moyens nécessaires pour régler ce décalage et faire face à ces besoins en attendant de parvenir à un accord avec le FMI.
– La seconde raison de l’insuffisance d’un accord avec le FMI est plutôt d’ordre économique. L’accord avec cette institution sera d’ordre financier et concernera les grands équilibres financiers. Cet accord ne prendra pas en considération les autres grands défis économiques de notre pays. A ce niveau, il ne faut pas sous-estimer les autres dimensions de cette crise multiple et parallèlement à la stabilisation financière, il est important de définir un autre programme de relance des investissements et de sauvetage des entreprises suite aux effets de la pandémie de la Covid-19.
– La troisième raison est d’ordre structurel, car parallèlement aux défis financiers et économiques de la crise, il faut mentionner les transitions nécessaires pour construire un nouveau modèle de développement.
-La quatrième raison est d’ordre social et concerne la crise sociale que nous traversons et qui a touché les fondements profonds de notre contrat social. Cette crise exige de nouvelles politiques sociales afin de reconstruire le lien commun.
– La cinquième raison est d’ordre politique et exige la construction d’une nouvelle alliance large entre les partis politiques et les organisations sociales afin de sauver l’économie et la société. Les réponses économiques et sociales ne nous permettront pas de relever les défis dans ce contexte de crise politique profonde et de blocage de la transition démocratique.
Nous traversons aujourd’hui une crise économique et financière sans précédent. Cette crise exige la signature d’un accord avec le FMI pour ouvrir les portes à la mobilisation des ressources nécessaires pour faire face à nos besoins urgents de financement. Cet accord est nécessaire mais en dépit de son importance, il ne sera pas suffisant pour relever les défis de notre économie. Cette crise multiforme exige plus que jamais la définition d’un programme global et d’un accord politique large pour poursuivre notre transition démocratique et sauver notre économie et la société des conséquences de la pandémie.