« Lis… »
« Lis au nom de ton Seigneur… »
Ainsi ordonna Dieu au premier musulman que fût Mohammad. Et Mohammad transmit fidèlement l’ordre impératif et divin à sa future « omma ». Cette « omma » principalement arabe, faut-il le préciser.
Seulement il est bien connu que les commandements de Dieu sont faits pour être allègrement transgressés, et
que nous sommes, omma favorite de Dieu, les premiers à tourner en bourrique notre créateur et ses préceptes. Les exemples sont légion, y compris cette invitation à la lecture, que je me permets d’ériger en symbole.
Il ne faudrait pas s’étonner dès lors que, comparé aux nations évoluées, le lecteur arabe apparaît comme une goutte insignifiante dans l’océan universel des bibliovores.
Les chiffres, dramatiques, sont là pour le dire. Ils nous apprennent que le tiers de la population arabe est analphabète. Un des pays les plus sinistrés en la matière, le Maroc, compte selon une étude récente, 40% d’analphabètes parmi la population de plus de quinze ans. Ce taux grimpe à 60% pour les femmes.
Un rapport de l’ALECSO précise, entre autres, que le monde arabe occupe la première place dans le classement mondial de l’ignorance.
En poussant l’autoflagellation de quelques crans et en nous référant à des comparatifs douloureux, sachons que la moyenne de temps consacrée à la lecture dans le monde occidental est de 12000 minutes par an, comparée lamentablement à quelques 6 minutes dans le monde arabe, avec toujours le Maroc comme lanterne rouge. Quoi qu’il ne faut pas trop se réjouir chez nous en Tunisie, car nous appartenons statistiquement et à quelques différences près, à la même famille. Et quand bien même, le particularisme bourguibien nous a sauvés un temps de la débâcle, on n’est pas prêt de rejoindre les nations de Gutenberg surtout par les temps qui courent.
Les dernières éditions de la Foire du livre sont à ce propos très édifiantes. En voyant ces étals de la misère intellectuelle qui prolifèrent d’édition en édition, on reste interdits devant la permissivité des organisateurs. Ou devant leur connivence. Ces étals malveillants, comme les virus qui infestent les systèmes informatiques, proposent des titres qui font le bonheur d’un public de plus en plus tourné vers le fatalisme à défaut de certitudes, se détournant de la raison au profit de la magie et de la formule miraculeuse, ressenties comme apaisantes puisqu’elles le soustraient aux rigueurs et angoisses d’un présent de plus en plus oppressant. A croire que tout a été paramétré dans cette intention.
On est arrivés à un point où lire un livre en public suscite un panel de « ressentis », allant de la défiance au sarcasme.
Tout est tendance et tout relève d’un phénomène de mode. Le ministère de l’Enseignement lança il y a quelques années un programme-incitation à la lecture dans les établissements scolaires, et fût un temps où le ministère de la Culture sillonna le pays et les zones culturellement déshéritées avec ses fameux bibliobus. La société civile pourrait relancer et redynamiser ces initiatives en collaboration avec différents ministères, comme ce fût le cas pour l’éphémère « l’Avenue lit ». Les idées ne devraient pas manquer afin de recréer cette envie de lecture et la transformer en besoin. Car la véritable révolution, commence par les esprits. N’est-ce pas ?