Que pourra faire Youssef Chahed pour remanier son équipe sans anicroches, parvenir à un consensus sans rester l’otage des partis et ne pas sacrifier la cohérence de l’action de son gouvernement sur l’autel des calculs partisans et la logique des quotas?
Il ne faut pas se leurrer, tout le monde connait que sa marge de manœuvre est étroite et ses appuis politiques sont factices ; à l’image d’un Nidaa Tounes, en déconfiture, mais qui continue à jouer les trouble-fêtes et d’Ennahdha, miné de l’intérieur, mais qui court toujours derrière les postes de responsabilités.
Tout le monde est, également, conscient de la complexité du contexte que vit la Tunisie aux plans politique, économique et social qui commandent, normalement, une mobilisation de toutes les forces politiques et sociales pour sauver le pays d’une banqueroute certaine et bien de tourments dont les conséquences risquent d’être lourdement payés par tous les Tunisiens.
Ce qui est paradoxal, pour le cas tunisien, c’est que face à un diagnostic sans appel, les forces politiques et sociales se trouvent plombées, incapables d’agir pour éviter tout scénario du pire en continuant à ramer à contre-courant et en se livrant à des guerres fratricides à propos de tout et de rien.
Nonobstant le cercle vicieux dont le pays est devenu prisonnier depuis maintenant quelques années, il existe quand même une lueur d’espoir. Youssef Chahed possède aujourd’hui un atout maître qui l’habilite à se libérer du jeu bloquant des partis, de ne pas céder aux pressions qui lui sont exercées de toute part et de faire valoir, dans le remaniement qu’il est en train de concocter, les critères d’efficience et de compétence. Aurait-il suffisamment de courage pour passer outre tous les calculs politiciens et opérer les choix qui participent le mieux à la mise en œuvre des réformes et à la restauration de la confiance ?
La guerre contre la corruption, la contrebande et le commerce illicite qu’il a engagée, il y a quelques mois, et son engagement pour la mener jusqu’au bout lui a valu un regain de popularité dans l’opinion publique et un soutien inespéré de certains acteurs politiques et sociaux.
Elle lui a provoqué en revanche le désamour de son propre camp et les foudres d’ Ennahdha qui voit en lui un adversaire potentiel.
L’imbroglio actuel, les tergiversations des partis politiques, les pressions qu’il est en train de subir, le départ inattendu, en pleine préparation du budget de l’Etat et de la loi de finances 2018, d’un troisième ministre de son équipe sont à la fois un avertissement et un signal clair. Un avertissement de la part de forces politiques, censées le soutenir et l’appuyer dans sa démarche, qui se sont trouvées dans l’œil du cyclone et qui, pour sortir du piège, ne reculent pas à se mordre la queue.
C’est qu’en assumant ses responsabilités et en mettant ses promesses à exécution, le gouvernement d’union nationale a franchi, pour certains, le Rubicon, remettant en question bien d’intérêts occultes, de coalitions contre nature entre acteurs politiques et barons du commerce parallèle et en brouillant des cartes.
En témoignent les convergences troublantes apparues, au grand jour, entre Nidaa tonnes, affaibli et en mal de repères, et le mouvement Ennahdha, rattrapé par ses contradictions à propos des missions dévolues au Chef du gouvernement et de la répartition des portefeuilles ministériels .Les deux partis, qui forment à eux seuls le bloc majoritaire à l’Assemblée des Représentants du Peuple, se plaisent de plus en plus à développer un discours belliqueux qui va dans le sens de l’affaiblissement du gouvernement qu’on fait tout pour qu’ il reste l’otage de leurs intrigues et calculs.
En poussant leurs exigences au seuil de l’inacceptable, ils sont en train de créer les conditions objectives pour verser le pays dans une instabilité politique insupportable et pour rééditer le scénario, qu’il y ‘a un an, a débouché sur le départ forcé de Habib Essid de la primature.
Face à un consensus de plus en plus difficile à obtenir et une exacerbation des pressions, Youssef Chahed saura-t-il surprendre en mettant tout le monde devant le fait accompli ? Manifestement, il possède une carte qui pourrait inverser l’équilibre des forces en sa faveur. La carte de l’opinion publique, des forces politiques indépendantes et sociales qui refusent de plus en plus la logique implacable des quotas qui a mené, depuis les élections de 2011, le pays à la ruine. La carte, enfin, qui permet de mobiliser toutes les forces vives pour servir les intérêts du pays et le sauver d’une débandade de plus en plus certaine.