Le grand historien et précurseur de la sociologie Abdelrahman Ibn Khaldoun (1332 – 1406), soulignait dans sa théorie cyclique des nations (le livre des exemples : Al – muqaddima), que l’histoire s’organise autour de nœuds, six siècles avant que les historiens et les sociologues occidentaux n’attribuent cette «règle dialectique» au célèbre romancier russe Alexandre Soljenitsyne ( Prix Nobel de littérature 1970 ) ! Ainsi de 1881, avec l’occupation française, qui fut la matrice de «l’histoire tragique» de la Tunisie moderne, de 1907, qui vit la montée du nationalisme, incarné par le mouvement «jeunes Tunisiens, accoucher d’un bain de sang le 7 novembre 1911, de 1938, avec les incidents sanglants du 9 avril et l’état de siège, de 1952 avec la lutte armée contre l’occupant qui aboutira à l’indépendance en 1956, de 1969, avec les émeutes provoquées par la politique collectiviste qui engendra la grande dépression du pays et de son « combattant suprême «Habib Bourguiba, de 2011, quand le «kidnapping» d’un soulèvement des jeunes fit renaître l’islam politique. L’Histoire en général n’est pas un long fleuve tranquille. Mais celle de notre pays est particulièrement tourmentée. Faite de passions et de larmes, elle se remet en marche, tissée de crises. Le pays est retombé au stade anal de la régression totale, écrabouillé par ce que les matérialistes appellent «le sens de l’histoire», au point qu’on peut se demander si nous ne sommes pas revenus aujourd’hui aux «temps des ténèbres», quand l’enfer des obscurantistes était présenté comme le paradis de l’abondance et que les mensonges des charlatans passaient pour des vérités révélées. Face à cette affreuse situation, voilà des Tunisiens qui refusent de se mettre la tête dans le sable, bravent les muets du sérail et basculent le mandarinat du statu quo, se dressent et parlent vrai, cru, concret et se battent pour que leur pays ne devienne un laboratoire pour les adeptes de l’obscurantisme. Il y a dans leurs combats une telle colère, une telle sincérité et une telle générosité qu’on les admire en tremblant, comme des sauveteurs. Qu’ils sont admirables, ces femmes et hommes, vieux et jeunes, héros désespérés de la démocratie, de la liberté, de la modernité et de l’État de droit, ils résistent face à une terrifiante vague obscurantiste, venue d’un autre monde qui n’a jamais été le nôtre. Mais Il est étrange qu’ils ne suscitent pas plus de sympathie chez nos «démocrates laïcs» et «modernistes progressistes» qui n’arrêtent pas de faire des compromis avec les extrémistes, par cynisme diront certains, par lâcheté, répondront d’autres, car ils sont, depuis plus de neuf ans, les «idiots utiles» de l’obscurantisme. Le tort de ce combat acharné contre l’extrémisme religieux est d’avoir pris forme dans la politique moderniste de Bourguiba, même si ce dernier n’est pas le seul a y avoir contribué. C’est la honte des «démocrates» obnubilés par le spectre de l’ancien régime, le déshonneur d’une «gauche» qui a enfoui sa passion de la liberté. Et c’est au stade de la rigidité cadavérique qu’elle est maintenant, avant la fermeture du cercueil. C’est la lâcheté comme détestation des soi et de l’autre, qui empêche de défendre de manière argumentée une lutte contre l’extrémisme et l’islamisme obscurantiste. Ces pseudo-progressistes sont peut-être en train d’entrer pour de bon dans l’ornière islamiste dans laquelle les poussent depuis quelques années, par conformisme, haine de soi ou fatigue intellectuelle, une partie des arrivistes hors sol, éthérés, mollassons, qui semblent vivre au-dessus d’eux-mêmes ! Par pitié, ne vous laissez pas abattre, tout n’est pas perdu. Pour vous convaincre, voilà que ces combattants pour la modernité et la liberté ne sont plus seuls, désormais. Car la majorité silencieuse se rebiffe.
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