Sommes-nous à la hauteur du sacrifice de Moncef Bey ?

Sami Mahbouli*

Il y a 70 ans, le 1er septembre 1948, Moncef Bey s’éteignait en exil, plongeant toute une nation dans une immense et sincère affliction. Comment expliquer qu’un monarque d’une dynastie au seuil de son crépuscule ait pu jouir d’un si grand amour auprès de son peuple?
Au terme d’un règne d’à peine 11 mois, Sidi Moncef a pris une place tant dans le cœur des Tunisiens que dans leur histoire que nul ne conteste.
Par sa bonté, son courage et son patriotisme, il a sauvé l’honneur d’une dynastie husseïnite qui par son incurie avait favorisé la mise en place du protectorat.
Hissé sur le trône au beau milieu de la Seconde Guerre mondiale, Moncef Bey n’a eu de cesse de protéger ses sujets, de toute confession, face aux pressions et exigences contradictoires des Alliés et de l’Axe.
Lorsqu’en mai 1943, le Général Juin, au nom de l’autorité française siégeant à Alger, se présenta devant lui pour exiger son départ, il trouva un monarque fier et inflexible qui préféra la cruauté de l’exil à l’infamie de l’abdication. Accusé injustement de collaboration avec l’Axe, Moncef Bey payait, en réalité, son soutien affiché aux Destouriens et sa volonté de recouvrir une partie de la souveraineté confisquée depuis 1881.
L’exil à Laghouat, dans le désert algérien, qui s’achèvera en 1948 à Pau dans le Béarn n’entama en rien sa flamme patriotique et jusqu’au dernier soupir, il refusa tous les compromis et offres que la puissance tutélaire lui soumettra.
Son enterrement au Jellaz donna lieu au plus imposant rassemblement patriotique qu’a connu notre histoire: tout un peuple, ce jour-là, pleura son monarque bien-aimé qui sacrifia son trône et sa vie sur l’autel de l’amour pour la Tunisie.
Sommes-nous à la hauteur du sacrifice de Moncef Bey? Quand on voit l’état de notre pays, les clivages qui le minent et le délabrement moral et intellectuel qui y sévit, on est en droit de se poser la question.
S’il était de retour parmi nous, il ne pourrait concevoir que cette nation à laquelle il aura tout donné soit si divisée et si désemparée. Il serait consterné par cette classe politique miteuse et avide, ce régime politique désastreux, cet Etat impuissant et corrompu, cet incivisme généralisé, et plus grave encore par ce déficit patriotique manifeste. Un pays où les allégeances à des parties étrangères ne sont plus cachées et où les chancelleries et les agences de notation font la pluie et le beau temps n’est plus tout à fait indépendant. Ce serait une deuxième mort pour Moncef Bey que d’assister à ce gâchis sans nom après l’immense espoir suscité par sa résistance à l’oppression.
Pour nous racheter et lui témoigner notre infinie gratitude, nous pourrions, au moins, exiger de la France qu’elle formule des regrets pour l’injuste éviction dont fut victime Moncef Bey: l’humiliation qu’il a subie dans les jardins de la Résidence générale, sa destitution sous la menace et sans motif, et son exil aux confins du désert algérien ne valent-ils pas quelques mots d’excuse?
L’ambassadeur de ce pays ami qui, du Nord au Sud, été comme hiver, ne manque pas une occasion de manifester son attachement aux Tunisiens ne pourrait-il pas se charger de transmettre à qui de droit une si légitime doléance ?
Normalement, 70 longues années suffisent pour mieux évaluer les erreurs et esquisser un début de réparation. Il faut espérer qu’il ne faudra pas attendre l’an 2070, soit le 800e anniversaire de la mort, sous les remparts de Tunis, de Saint Louis, pour que ces regrets nous parviennent.

  *Avocat et éditorialiste

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