27
Cuba, Moscou, Belgrade, Vienne… Les « attaques soniques », qui abîment le cerveau de diplomates et espions américains, se multiplient. Effrayant.
Au croisement de la science-fiction, du roman d’espionnage et de L’Affaire Tournesol d’Hergé, le « syndrome de La Havane » a encore frappé. Cet été, plusieurs diplomates et espions américains ont encore été ciblés par de mystérieuses attaques par ondes électromagnétiques décrites comme des « attaques soniques » avec des conséquences parfois graves pour le cerveau.
En juillet, par exemple, une dizaine d’employés de l’ambassade des Etats-Unis à Vienne (Autriche) entendent des sons bizarres et ressentent des sensations étranges, alors qu’ils sont chez eux ou à l’hôtel : vertiges, nausées, céphalées, vomissements, pertes de mémoire, acouphènes, déséquilibres, grosse fatigue… En août, un cas similaire est signalé à l’ambassade américaine à Hanoï, obligeant la vice-présidente Kamala Harris, qui se rend au Vietnam ce jour-là, à retarder son arrivée de trois heures. Mi-septembre, les mêmes symptômes s’abattent sur un agent de la CIA en poste à New Delhi, en Inde. D’autres cas sont recensés en Serbie et en Chine…
*Des dégâts dans la matière grise du cerveau
Cinq ans après son apparition dans la capitale cubaine, le mystère du « syndrome de La Havane » reste entier. A l’époque, en 2016, une quarantaine de diplomates américains (et canadiens) sont frappés par le curieux mal. Rapidement, 44 victimes sont rapatriées. Des examens cliniques et des IRM révèlent des anomalies dans la matière grise du cerveau.
« Ma première pensée, se souvient l’ex-analyste de la CIA et spécialiste de Cuba Brian Latell, fut qu’il s’agissait d’une opération de la faction « fidéliste » du régime castriste en désaccord avec le rapprochement entre Raul Castro et Barack Obama. Mon hypothèse était que ses membres cherchaient à torpiller le dégel cubano-américain qu’ils désapprouvaient. Par la suite, la multiplication des cas le monde a en partie invalidé mon idée. » Depuis 2016, en effet, plus de 200 diplomates, espions ou employés d’ambassade nord-américains ont été atteints par l’extraordinaire syndrome.
En 2017, Marc Polymeropoulos, un agent de la CIA impliqué dans des opérations d’espionnage en Russie, est à son tour pris de malaises dans sa chambre de l’hôtel Marriott de Moscou. « J’ai été réveillé en pleine nuit par un vertige incroyable, a témoigné l’ex-espion. Mes oreilles sifflaient. J’avais envie de vomir. J’avais l’impression que ma chambre se mettait à tourner. Je n’arrivais même pas à tenir debout sans tomber. » Par la suite, les migraines de l’officier sont si douloureuses qu’elles l’obligent à prendre sa retraite à 48 ans.
*Une arme aux dimensions d’un sèche-cheveux
Désemparé, le gouvernement américain s’organise. Le FBI, la CIA, l’armée, l’agence de santé National Institutes of Health ainsi que le Center for Disease Control and Prevention mènent des études sur la question sans parvenir à des conclusions définitives. « L’hypothèse la plus crédible est qu’un puissant faisceau d’énergie, probablement des ondes térahertz de 200 joules, est projeté en direction de cibles sélectionnées avec soin, résume un chercheur américain en haute technologie, qui a travaillé pour Bell Labs et se présente sous le pseudonyme de « Harry Davis ». Grâce à la maîtrise récente des ondes térahertz (utilisées dans certains scanners d’aéroports), il est possible d’infliger de gros dégâts à partir d’une arme aux dimensions d’un sèche-cheveux. Au moment de l’attaque, poursuit notre « professeur Tournesol », les victimes se trouvaient dans des endroits visibles depuis la rue. Un sniper équipé d’une arme à rayon laser a pu diriger son tir à travers une vitre, la nuit. Une telle opération ne dure qu’une ou deux secondes, ne fait pas de bruit, ne laisse aucune trace. C’est le crime parfait. »
Après La Havane, Vienne est la ville qui compte le plus grand nombre de victimes. Comme à l’époque du Troisième Homme (1948), le film de Carol Reed avec Orson Welles, la capitale autrichienne demeure, aujourd’hui encore, un nid d’espions. Ceci explique cela : elle abrite de nombreuses agences internationales, dont l’Organisation des pays exportateurs de pétrole et l’Agence internationale de l’énergie atomique, ainsi que… la principale base de la CIA en Europe.
A Washington, la préoccupation grandit. « A la Maison-Blanche, nous avons mis sur pied en 2020 une équipe dédiée à ce sujet, confie à L’Express Matt Pottinger, ancien conseiller adjoint à la sécurité nationale. Plus nous en apprenions, plus nous étions inquiets. Je sais que l’actuel patron de la CIA William Burns prend également l’affaire au sérieux. » La question est : qui se trouve derrière ces attaques ? « L’hypothèse de travail qui tient la corde implique la Russie ; cependant, personne ne peut l’affirmer, admet Pottinger. Plusieurs pays pourraient être mêlés à ces événements. » Pourquoi la Russie plutôt que la Chine ? « En la matière, les Russes sont plus compétents et avancés que les Chinois, reprend le « professeur Tournesol » américain Harry Davis. Leur littérature militaire ne fait pas mystère de leur intérêt pour le sujet. Et ce type d’attaque irrégulière correspond à leur mentalité. »
« Toute cette affaire est dérangeante, dit pour sa part Matt Pottinger, à qui il n’a pas échappé que, ces derniers temps, la fréquence des « attaques soniques » ne faiblissait pas. « L’intérêt des Russes, s’il s’agit bien d’eux, est de nuire à la CIA et de déstabiliser l’Amérique », complète l’ancien analyste en chef de la CIA Brian Latell, qui vit près de Washington. Il ajoute: « Notre gouvernement en sait probablement davantage qu’il n’en dit. Mais, dans la mesure où il s’agit d’un casus belli, le problème est hautement complexe. » De fait, il est possible que Washington ait identifié les auteurs des attaques électromagnétiques, mais sans en détenir la preuve. Si tel est le cas, cela requiert en théorie une riposte. Mais se pose alors une dernière question, à laquelle il n’existe pas de bonne réponse :quelle riposte ?
(L’Express)