Plus le temps passe, plus on a l’impression que la Tunisie marche à vau-l’eau. Alors que les difficultés politiques, sécuritaires, économiques et sociales ne cessent de s’amplifier, on ne voit rien venir à l’horizon et un sentiment d’impuissance semble plomber tout changement profond et tout processus de réforme. Ce sentiment de pessimisme ambiant se nourrit de l’incapacité des pouvoirs et de tous les acteurs politiques et sociaux à faire bouger les choses et à conduire le changement. On se complaît à tourner le dos à une réalité complexe en focalisant l’attention sur tout ce qui est infiniment insignifiant, sur ce qui divise et ne construit pas et sur un discours haineux non un débat qui éveille les consciences. Le prestige de l’Etat qui a été l’argument ayant motivé le choix des Tunisiens en 2014 est resté, par la faute de tout le monde, une coquille vide traduisant l’impuissance manifeste des autorités publiques à faire bouger les lignes. Peut-on espérer que les choses iraient autrement ?
Avec un pouvoir effrité entre trois centres dont les intérêts sont parfois divergents, le pays n’a fait que plonger, chaque jour un peu plus, dans un statu quo qui a rendu tout processus de réforme presque impossible, encourageant une fuite en avant dont les conséquences risquent d’être lourdement payées par tous.
Le résultat le plus palpable se perçoit à travers une transition politique grippée, des institutions constitutionnelles presque à l’arrêt, une propension de certains partis politiques à fausser le jeu démocratique en cherchant à instrumentaliser les instances indépendantes. L’exemple de l’ISIE (Instance supérieure indépendante des élections) est édifiant dans la mesure où elle peine depuis mai dernier à construire un consensus pour solutionner la grande crise qu’elle affronte et qui a conduit notamment à hypothéquer les premières élections municipales depuis 2011. Le blocage de la vie politique se reflète à travers le fonctionnement chaotique de l’ARP (Assemblée des représentants du peuple) où les élus brillent plus par leur discours guerrier et leurs écarts de conduite que par leur force d’argument.
Le gouvernement d’union nationale n’échappe pas à cette logique implacable. Malgré la grande diversité des parties qui le forment et les forts appuis qu’il est supposé avoir, il apparaît encore étrangement seul, n’arrivant pas à trouver la bonne trajectoire pour donner un sens à ce qu’il entreprend et fait. Dans ce tumulte, ce qui inquiète le plus, c’est à l’évidence, la rupture qui existe entre le monde politique et tout ce qui se situe tout autour. Rupture entre les besoins et les moyens, le discours et la pratique.
On a l’impression qu’au regard de l’acuité des problèmes qu’ils rencontrent au quotidien, de la complexité de la situation, les Tunisiens sont laissés à leur triste sort.
Malgré les discours pompeux qu’on a pris l’habitude de prononcer lors des grandes joutes, c’est au niveau opérationnel qu’on ne trouve pas de répondant, de pouvoirs réactifs capables d’anticiper les crises et de prendre les bonnes décisions au bon moment.
Le processus de prise de décision est devenu le maillon faible de la nouvelle Tunisie où chacun se plaît à renvoyer la balle à l’autre, laissant souvent citoyens, services et acteurs économiques dans l’embarras.
Par où commencer pour reconstruire une confiance et surtout une conscience ? Si les services administratifs fonctionnent mal, la justice, qui a acquis son indépendance, hésite et suscite toujours indécision et questionnement, notre système de santé et d’éducation connait des dysfonctionnements structurels, le moral des jeunes est au plus bas et la confiance des opérateurs économiques est perdue.
Depuis sept ans, on n’a eu de cesse que de nous larmoyer et de faire le même constat. Ce sont les mêmes problèmes qui se posent toujours avec insistance, mais c’est la volonté qui fait cruellement défaut pour les transcender. Seul le discours a changé, pas la pratique.